J286
Le paysage flamand a ceci de particulier : c'est qu'il
varie suivant les heures et les moments de la journée.
Un rien amène une transformation profonde dans ses
moindres détails ; c'est un discret murmure qui
chante dans la brise, un nuage qui passe et qui change
subitement la couleur des prairies, la teinte neutre
du sol : puis le nuage se dissipe, l'espace s'éclaircit
et le rêve commencé s'achève au milieu d'un sourire
de lumière et d'azur.

La plaine flamande n'est donc pas un tableau banal
avec des arbres, une maisonnette et un peu de ver-
dure qu'on regarde en passant et qu'une autre vision
fait bientôt oublier. Non ; c'est quelque chose de
mieux, de plus vivant, de plus élevé pour celui qui
sait voir et comprendre le sentiment qui s'en dégage,
une âme ancienne, confuse, presque inconsciente,
sommeille là depuis des années, plongée dans la
rêverie des mélancolies douces, daus le culte des
pieux souvenirs ! Et la pensée inquiète et curieuse va
jusque dans le recul des âges en songeant que les
générations qui nous ont précédés ont put être témoins
de grandes crises sociales, d'événements plus ou
moins émouvants et parfois tellement incroyables que
nous n'hésitons pas à dire qu'ils appartiennent plutôt
à la légende qu'au domaine de l'histoire.

Quel silence ! Quelle solitude malgré le soleil qui
luit au fond du ciel! L'air est pur,la paix sereine,avec
les premiers feux du jour, semble descendre sur les
villages abandonnés. Nous nous arrêtons pour voir,
comme pénétrés d'un charme délicieux, songeant que
c'était là peut-être qu'il auait fait bon de mener une
vie calme, dans la simplicité des champs, au milieu
des senteurs d'aubépine.
                                                                                          

J287
Et lorsqu'on réfléchit bien, la vie rurale parait être
la plus naturelle : c'est aussi la plus saine, celle qui
rend les hommes forts et vigoureux et les fait vivre
longtemps. En effet, l'homme n'est pas fait pour vivre
encaserné dans de grandes maisons où tout est parci-
monieusement distribué, jusqu'à l'air qu'il respire.

L'homme est né pour l'espace, pour aspirer la vie
à pleins poumons en cultivant la terre dans les claires
matinées au printemps, ou sous le gai soleil de juin.
Les défauts du corps, les vices de l'âme, les travers
de l'esprit, les idées fausses ou erronées viennent
presque toujours de la vie fiévreuse et haletante des
centres industriels ou des grandes cités. De tous les
êtres, l'homme est celui qui aime le plus la liberté et
qui a horreur des endroits où l'on entasse ses pareils
pour les faire travailler d'une façon régulière.

Que ces endroits, qui abritent sous le même toit
des centaines d'êtres créés pour être libres,s'appellent
casernes, hospices. couvents ou usines, tous pour la
plupart, inspirent à l'homme une répugnance, un
dégoût qu'il ne peut, maîtriser. L'homme n'aime pas
l'air vicié par l'haleine des autres hommes; par les
émanations de tous ces corps sales qui suintent la
misère, la fatigue et le surmenage. Cest pourquoi
dans les grandes cités, les êtres dégénèrent, dispa-
raissent ou s'éteignent à la troisième génération!...
Et lorsqu'il s'agit d'infuser un sang jeune à ces popu-
lations étiolées des centres populeux, lorsqu'il s'agit
de renouveler la race par un croisement sain, c'est la
terre, la bonne terre des aïeux ou autrement dit la
campagne qui fait les frais de ce rajeunissement, en
laissant partir vers les grandes villes ses gars forts et
                                                                                          

J284 J1 J288