J84
Un vieux chroniqueur de l'époque, nous représente
le moine mendiant parcourant les campagnes accom-
pagné d'un âne et tenant ce langage au paysan :
-«Allez-vous à confesse ? lui demande-t-il. Et le
paysan de répondre : oui. -:A qui? réplique le moine.
Au curé de ma paroisse, riposte le paysan. Et le
moine hypocrite d'ajouter :C'est un ignare qui ne
sait ni son latin ni sa théologie. Venez chez nous qui
pardonnons toujours et qui avons reçu les grands
pouvoirs que vous voyez. » Et il montrait des bulles
où pendaient de grands cachets de plomb.
Le peuple ne se laissait pas toujours prendre à ces
pièges grossiers, mais les nobles et les bourgeois qui,
pour affecter des goûts et des idées plus aristocrati-
ques, feignaient, de mépriser leurs curés, prenaient
comme confesseurs des frères prêcheurs ou d'autres
religieux. En voyant cela, beaucoup de paroissiens
se gênaient moins pour commettre de nouvelles
fautes, sachant d'avance qu'ils pouvaient se confesser
à d'autres qu'au curé. Ils se disaient mutuellement :
« Prenons librement, nos plaisirs, nous nous confes-
serons sans peine à l'un de ces frères prêcheurs ou
mineurs que nous n'avons jamais vus et que nous ne
reverrons jamais. » (1)
Les moines protestent et nient énergiquement; ils
s'appuient sur saint Thomas d'Aquin qui défend leur
cause quand il dit : « Que les religieux mendiants
peuvent prêcher et confesser sans l'autorité des curés
et des évêques. On sait, par expérience, ajoute-t-il,
que quelques particuliers ne se confesseraient point
______________________________________________
(1) Fleury (histoire Ecclésiastique). Bruxelles 1716, page 348
   
|
J85
s'ils ne pouvaient le faire à d'autres qu'à leurs curés,
soit par la honte de se confesser à ceux qu'ils voient
tous les jours, soit par soupçons d'inimitiés ou toute
autre raison, d'où il est utile qu'il y ait des religieux
établis exprès pour le soulagement des pasteurs. »(1)
Saint Bernard, bien avant, avait tracé la ligne de
conduite des prêtres et des moines. Quoique apparte-
nant aux ordres religieux, il met au-dessus de tout la
dignité du prêtre, le rôle utile du clergé de paroisse
et fulmine contre les religieux qui essaient d'empiéter
sur ses attributions.
C'est donc le prêtre de campagne qui sera chargé
des intérêts spirituels des pauvres, des manants et des
serfs peinant, les rudes labeurs, les durs travaux des
champs, aux époques sombres du moyen-âge, quand
la terre ingrate donnait beaucoup moins qu'aujour-
d'hui, que des marais profonds couvraient au loin les
plaines et que les inondations détruisaient en un jour
les travaux d'une année. Le prêtre, alors, partageait
les misères comme les joies des humbles et des tristes.
N'est-ce pas à lui que l'église dit :«Que le curé
d'une paroisse aime ses paroissiens d'une affection
filiale,qu'il ne leur cause en rien préjudice, mais qu'il
les dirige par ses paroles, par ses fonctions et aussi
par son exemple ; qu'il soit pour eux patient, doux,
bienveillant, qu'ainsi la vie exemplaire du prêtre, la
vue de sa bonté, excite à venir à l'office divin et à se
confesser plus volontiers et de meilleur coeur. »(2)
Le plus souvent, ce prêtre est lui-même fils de la
______________________________________________
(1) Fleury (Histoire Ecclésiastique) Bruxelles 1716 page 564
(2) D. Martine. thésaurus anecdotorum, T. 18, col.728.
   
|