La Capitation
sous Louis XIV et les années suivantes

L'histoire de la capitation est étudiée dans de nombreux ouvrages anciens et modernes.
les réferences de trois ouvrages sont données ci-dessous:
-Dictionnaire raisonné des domaines et droits domaniaux par Bosquet & Hébert, tome premier de 1782 (page 432 et suivantes)

-Dictionnaire universel de justice police et finances tome premier par Me François-Jacques Chasles 1775 (page 570-577)

-et l'encyclopédie méthodique, finance de 1784 dont vous trouverez ci-dessous un extrait:

Source:
ENCYCLOPÉDIE MÉTHODIQUE,
Finances
Tome premier A PARIS,
Chez PANCKOUKE, Libraire, hôtel de Thou , rue des Poitevins;
A L I È G E
Chez Plomteux, Imprimeur des Etats.

M. D C C. L X X X I V.
Avec Approbation, et Privilège Du Roi.


Dans cette encyclopédie consacrée à la finance, a été extrait la partie concernant la capitation (pages 172 à 196) est plus particulièrement celle concernant le règne de Louis XIV et la suite (page 173 à 179).

CAPITATION, qui signifie un impôt fixé par tête, une taille personnelle; cette espece de tribut est très-ancienne, & se levoit dans les Gaules, dès le tems des Romains.

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La capitation n'a pris une dénomination constante, & une forme bien réglée, que sous Louis XIV, qui l'établit par déclaration du 18 janvier 1695.

Les puissances avec lesquelles la France étoit en guerre, paroissant insensibles à leurs portes, & même tirer avantage de l'inclination que le roi témoignoit pour la paix, on chercha des secours dans une capitation générale, par feux ou familles, payables d'année en année, pendant la durée de la guerre seulement, & sans qu'elle put être continuée, ni exigée, sous quelque prétexte que ce fût, trois mois après la conclufion de la paix. Le préambule de cette déclaration porte, que l'établissment de cette imposition, pouvoir être regardé comme un moyen d'autant plus sûr & d'autant plus efficace pour fournir aux dépenses de la guerre, que les plus zélés & les plus éclairés des sujets des trois ordres de l'état sembloient avoir prévenu la résolution qui avoit été prise à ce sujet, & que même les états de Languedoc, après avoir accordé, par une délibération du mois de décembre 1694, le don gratuit de trois millions .qui leur avoit été demandé, & avoir pourvu aux autres charges ordinaires, que la guerre avoit considérablement augmentées, avoient eu pourtant leur prévoyance & les témoignages de leur zele & de leur affection, au-delà de ce qu'on pouvoit en attendre, proposé le secours de la capitation, & exposé les motifs qui dévoient le faire préférer à tous les autres moyens extraordinaires que l'on pourroit pratiquer dans la suite.

Qu'en effet, cette capitation portant généralement sur tous, seroit peu onéreuse à chaque particulier; qu'étant réunie aux revenus ordinaires, elle produiroit des fonds suffisans, & que le recouvrement s'en faisant sans frais & sans remise, ce secours seroit beaucoup plus prompt, plus facile & plus effectif, & mettroit à portée de se passer, dans la suite, des affaires extraordinaires, auxquelles la nécessité des tems avoit obligé d'avoir recours. Le roi promet ensuite en foi & parole de roi, de faire cesser cette capitation trois mois après la publication de la paix.

Il fut écrit aux intendans des différentes provinces du royaume, pour leur demander le nombre des paroisses de chaque généralité, & l'évaluation de ce que pourroit produire la capitation, annoncée comme une imposition passagere & momentanée.

Les intendans, de leur côté, consulterent les officiers municipaux des villes, pour avoir des dénombremens & des estimations. On voit, par les lettres qui furent écrites alors, que chaque taxe devoit être très-modique, les plus foibles étoient fixées à dix sols; les autres dévoient être réglées par les facultés des contribuables.

L'article premier de la déclaration de 1695, après avoir ordonné la levée d'une capitation générale, même dans les villes conquises depuis la guerre, porte qu'à cet effet, il seroit arrêté par les intendans des différentes provinces, par les syndics des dioceses & états, par les gentilshommes, qui, suivant la déclaration, devoient agir conjointement avec les intendans, des rôles de répartition, conformément au tarif, arrêté dans le conseil, contenant la distribution des

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sujets, en vingt-deux classes, est annexé à la déclaration.

L'objet de cette classication étoit, que le poids de cette imposition fût porté par chaque individu, dans la proportion assignée à la classe dans laquelle il se trouvoit placé. Mais l'identité des mêmes états, qualités & fonctions, n'entraîne point l'égalité des fortunes & des facultés; ainsi, une opération appuyée sur une pareille base, s'écarte nécessairement des vues de justice & d'égalité que l'on doit se proposer, & va directement contre son objet.

Tous les sujets, de quelque qualités & conditions qu'ils pussent être, les ecclésiastiques séculiers & réguliers, les nobles, les militaires, &c., devoient être assujettis à la capitation, à l'exception de ceux des taillables dont les cotes étoient au-dessous de quarante sols; des religieux mendians, & des pauvres, dont les curés des paroisses donneroient des rôles qu'ils certifieroient.

La même déclaration porte que le roi étoit persuadé que les ecclésiastiques, que leur état empêchoit de le servir dans les armées, & qui ne pouvoient contribuer dans cette occasion, à la défense de l'état, que par la voie des subsides, se soumettroient volontiers à cette contribution; mais l'assemblée générale du clergé devant se tenir dans la même année, & les témoignages que sa majesté avoit toujours reçu du zele de ce corps, lui faisant présumer qu'il continueroit à en donner des marques, en accordant un don gratuit, proportionné aux besoins de l'état, il ne seroit pas juste qu'il se trouvât en même-tems chargé de Contribuer à la capitation il fut ordonné que, quant à présent, le clergé, & les membres qui en dépendoient, ne seroient compris, ni dans le tarif qui seroit arrêté au conseil, ni dans les rôles formés par les intendans, pour le recouvrement des taxes de l'année 1695.

Le produit de la capitation étant destiné à soutenir les dépenses de la guerre, & ce secours devenant nécessaire pour la campagne suivante, il fut ordonné que les redevables acquitteroient leurs taxes en deux termes, & paiemens égaux, l'un dans les premiers jours de mars, & l'autre dans ceux du mois de juin suivant, entre les mains des receveurs des tailles de chaque élection, ou des commis par eux préposés, & qui remettroient ensuite le montant de leur recette respective, au receveur-général des finances de la généralité.

Que les bourgeois & habitans des villes franches & non-taillables, paieroient entre les mains des receveurs des deniers communs de ces villes, lesquels verseroient également leurs fonds dans la caisse du receveur-général de la généralité, & celui-ci au trésor-royal.

Dans les pays d'états, les rôles d'imposition de la capitaiian dévoient être arrêtés par les întendans, de concert avec les députés ordinaires, ou syndics des états, & les taxes devoient être acquitées entre les mains des collecteurs & receveurs ordinaires des dons gratuits, & autres impositions, qui devoient en remettre le montant aux trésoriers de la province, pour être ensuite porté au trésor-royal.

Le rôle d'imposition de la ville de Paris, devoit être arrêté par le prévôt-des-marchands & les échçvins, & le montant de la recette dont le receveur-général de la ville étoit chargé, devoir être versé au trésor-royal.

Les rôles des gentilshommes & des nobles, devoient être formés par les intendans, de concert avec un gentilhomme nommé par le roi dans chaque bailliage, où il y auroit eu un receveur pour cette recette particulière.

Les intendans des provinces, ceux de la marine & des galères, étoient chargés de faire travailler à la confection des rôles des officiers & soldats , tant de terre que de mer.

Les officiers des parlemens & des autres compagnies, qui recevoient leurs gages par la voie d'un payeur, dévoient acquitter leurs taxes entre ses mains.

Il étoit dit : que les princes, ducs, maréchaux de France, les grands officiers de la couronne, & les autres officiers compris dans les deux premières classes du tarif, acquitteroient leurs taxes directement entre les mains du garde du trésor royal.

Quant aux autres officiers de la maison du roi & des maisons royales, leur capitation devoit être payée sur un rôle arrêté par le roi, & entre les mains d'un receveur établi ad hoc.

Un règlement exprès devoit pourvoir, tant aux taxations des différens receveurs, qu'à la manière de rendre leurs comptes. Mais il leur étoit fait défenses d'exiger des redevables aucuns droits de quittance ou autres, à peine de concussion.

Les receveurs étoient autorisés à contraindre ceux qui seroient en retard de payer, par les mêmes voies, que pour les autres deniers du roi, à l'exception seulement des ecclésiastiques, à l'égard desquels il ne pourroit être procédé que par saisie de leur temporel.

Les rôles, extraits des rôles, quittances, assignations, & généralement tous les actes, concernant la capitation, pouvoient être faits sur papier non timbré.

Les personnes qui possedoient plusîeurs charges ou offices, & qui par cette circonstance, pouvoient se trouver compris dans plusieurs classes, ne devoient acquitter qu'une taxe, à raison de la plus forte, suivant leur qualité.

Les fils de famille mariés, ou pourvus de charges, devoient être taxés en particulier, quoiqu'ils demeurassent chez leurs père & mère.

Les enfans majeurs ou mineurs , qui jouissoient

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des bîens de leurs pere ou mere décèdés, dévoient être taxes au quart de ce que leur pere auroit supporté.

Les veuves & les femmes séparées n'étoient assujetties qu'à la moitié de la taxe de leurs maris.


Tous ceux qui ne se trouvoient pas précisément compris sous l'une des classes du tarif, devoient être taxes par les intendans seuls, ou par les magistrats, conjointement avec les syndics & députés des états, les syndics des diocèfes, & les gentilshommes nommés par le roi, sur le pied de celle des classes à laquelle ils avoient le plus de rapport, ou par leur état, ou par leur qualité.

D'après les changemens qui pouvoient survenir dans les états & les fortunes des personnes sujettes à la capitation, les intendans etoient autorisés à procéder dqns la forme ci-dessus, à la correction des rôles, en augmentant ou diminuant les taxes, & ils devoient envoyer chaque année, au contrôleur-général des finances, le tableau de ces augmentations ou diminutions.

La connoissance des contestations qui pouvoient s'élever sur le fait de l'imposition, & du recouvrement de la capitation, étoit attribuée dans ces province, aux intendans, & à Paris, aux prévôts-des-marchands & échevins, sauf l'appel au Conseil.

Cette déclaration, fut enregistrée au parlement, le 21 janvier 1695 & en la chambre-des-comptes, le 22 du même mois.

Le tarif mis sous le contre-seel de ce règlement, étoit distribué en vingt-deux classes comme on l'a dit.

La première qui commençoit par M. le Dauphin, étoit taxée à deux mille livres.

La seconde à quinze cents livres.

La troisieme a mille livres, & ainsi des autres en dégradation jusqu'à la dernière qui étoit fixée à vingt fols
.

Un grand nombre de chefs de famille des pays d'état, qui, quoique aisés, ne supportoient cependant pas quarante sols de taille, cherchèrent à se prévaloir des dispositions de la déclaration qui exemptoient de la capitation tous ceux qui payoient une taille au-dessous de quarante fols; mais le 22 février, un arrêt du conseil ordonna que cette exemption ne devoit avoir lieu, que dans les pays d'élection.

Un autre arrêt rendu postérieurement, a restraint cette exemption aux particuliers, dont la cote n'est que de vingt fols & au-dessous.

Le clergé, qui, par la déclaration, avoir été assujeti à la capitation, mais qu'on avoit supposé devoir l'acquitter, par la voie d'un don gratuit, accorda en effet, quatre millions par an, pendant tout le tems que dureroit la guerre, & à commencer pour l'année 1695. Ce corps fit l'imposition de cette somme sur lui-même, après y avoir été autorisé par lettres-patentes.

Le clergé des trois évêchés qui ne faisoit pas partie du clergé de France, paya aussi un don gratuit, par forme d'abonnement.

On a vu que la capitation avoit été réglée, non sur les facultés, mais d'après l'état & les qualités des contribuables; cette imposition sur deux personnes d'une même profession, dont l'une étoit riche & l'autre peu aisée, devenoit très onéreuse pour celle-ci, & légère pour la première. Cette circonstance en rendant le recouvrement plus ou moins difficile, occasionnoit des poursuites, dont les frais aggravoient encore la condition du contribuable le moins aisé.

Afin, de prévenir cet inconvénient, un arrêt du 26 mars, ordonna d'abord que les droits de contrôle des exploits & significations qui étoient faits pour parvenir au recouvrement de la capitation séroient réduits au quart des droits ordinaires; ce quart fut ensuite supprimé, le 31 mai suivant.

Comme la capitation n'avoit pu être acquittée dans les termes réglés, on en fixa deux nouveaux, qui furent les mois de juin & de juillet. On ordonna le 11 juin, que ceux des redevables qui n'auroient point acquitté la première moitié de leur taxe, dans le mois de juin, & la seconde, dans le mois de juillet, paieroient une moitié en sus, ou de leur taxe entière, ou de la somme dont ils seroient en retard.

Un édit du 4 juin, de la même année 1695, avoit déjà réglé que les sommes pour lesquelles les valets, servantes, & autres domestiques, feroient employés dans les rôles, devoient être payées par les maîtres & maîtresses, sauf leur recours.

Le 15 février 1697, un arrêt ordonna aux payeurs des compagnies de retenir la capitation sur les gages qui ne pourroient jamais être saisis, que jusqu'à la concurrence de la capitation, & le mois suivant, un autre arrêt porte que les gentilshommes exempts &c privilégiés, les habitans des villes franches ne pourront jouir de leurs privilèges, qu'ils n'aient acquitté leur capitation.

Cette même année, la paix fut conclue à Riswick, à la fin de septembre. Dès le 17 de septembre suivant, le roi, fidèle à sa promesse, ordonna que la capitation ne seroit plus imposée & levée, que pour les trois premiers mois de 1698.

Cette suppression ne fut pas de longue durée; la guerre élevée à l'occasion de la succession d'Espagne, fit renaître les besoins qui avoient donné naissance à la capitation en 1695.

Cet impôt fut rétabli, & même sur un pied plus fort que précédemment, par la déclaration du 12 mars 1701, enregistrée au parlement, le 17 du même mois.


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Quoique cette nouvelle déclaration fût calquée fur celle de 1695, & qu'elle en rappellât les dispositions, on changea celles qui regardoient plusieurs corps; ils furent autorisés à faire eux-mêmes la répartition de la capitation sur leurs membres.

De Ce nombre furent 1°. le parlement de Paris, & les autres cours supérieures du royaume, le premier président, deux députés & le procureur général de chaque compagnie, formèrent les rôles, & on y comprit les greffiers, les avocats & les procureurs.

2°. Le châtelet, & les jurisdictions subalternes ou inférieures de Paris; les chefs arrêtèrent également les rôles, de concert avec deux députés & le procureur du roi.

Dans les provinces, les intendans eurent ce soin, conjointement avec les officiers de chaque jurisdiction.

Enfin, tous les corps & métiers fournis à la jurisdiction du lieutenant-général de police de Paris, furent taxés par ce magistrat, & le procureur du roi.

Le paiement de la capitation fut distribué en deux termes; le premier, à la fin de mars, le second à la fin de septembre, à peine, pour ceux qui n'auroient pas acquitté dans ces délais, de payer moitié en sus, de la somme dont ils seroient reliquataires.

La comptabilité fut réglée comme en 1695; c'est-à-dire qu'on attribua la connoiSSance des contestations relatives à la matière, aux intendans, à l'exception néanmoins de tout ce qui pourroit concerner les officiers des cours Souveraines, dont le jugement en première & dernière instance fut attribué à ces compagnies.

Les états de répartition dévoient être envoyés au conseil, par ceux qui avoient été chargés de leur confection, & il devoit , en consequence de ces états, être arrêté des rôles qui devoient être rendus exécutoires; mais comme la formation de ces états exigea des délais plus considérables qu'on ne l'avoit pensé; le 19 avril 1701, un arrêt du conseil déclara ces états même exécutoires par provision.

Comme le produit de la capitation ne suffisoit pas encore aux dépenses de la guerre, un arrêt du conseil du 3 mars 1705, revêtu de lettres-patentes dûement enregistrées le 4 septembre, y joignit, par addition la levée de deux fols pour livre du dixième du montant de cette imposition. Ces deux sols pour livre ont engendré les quatre sols pour livre qui se lèvent encore actuellement. Il fut ordonné la même année, qu'à l'avenir les gens de campagne seroient imposés au marc la livre, de la taille qu'ils paieroient.

Quoique la déclaration de 1701 eut assuré que la capitation cesseroit six mois après la paix, sans que le quartier qui seroit commencé pût être compris dans ces six mois, cependant cette imposition fut prorogée indéfiniment par déclaration du 15 juillet 1715. On révoqua même les exemptions qui avoient été promises en 1708 & 1709, à ceux qui acquerroient des rentes de la création des années précédentes.

Trois années après, un arrêt du 24 décembre 1718, dans la vue de faciliter la reddition & l'appurement des receveurs de la capitation, ordonna que les redevables qui auroient obtenu l'année précédente des modérations ou décharges de leurs taxes, seroient obligés de les remettre aux préposés à la recette de la capitation avant le premier mars prochain, sinon, qu'elles feroient nulles & de nul effet; que les particuliers qui se prétendroient imposés ailleurs, & ne justifieroient pas de leur quittance dans le mois de la demande, seroient contraints au paiement des sommes portées par les rôles, sans espérance d'aucune réduction, ni compensation.

S'il est de l'intérêt du souverain qu'une imposition passe directement de la main de ses peuples dans son trésor, il l'est aussi qu'elle soit répartie avec la plus grande égalité; mais une distribution par vingt classes n'étoit pas propre à remplir ce dernier objet.

La contribution du pauvre est forcée, & celle du riche est modique; car la même qualité, le même état, la même prosession, ne donnent pas cette égalité de moyens & de fortune, qui est si gratuitement supposée. D'ailleurs, en admettant cette égalité dans la recette, peut-elle exister dans la dépense. N'est-il pas plusieurs circonstances, comme celle d'une famille nombreuse, de parens à soutenir, qui aggravent la dépense & rompent cet équilibre d'aisance sur lequel repose l'uniformité de la capitation par classes. Un pareil impôt, dit un écrivain qui mérita d'être cité avec éloge, (l'auteur des Considérations sur les finances, tom. 4, pag. 110 ), est très-propre à suppléer à une nécessité extraordinaire, « parce qu'il se perçoit sans beaucoup, de frais, & qu'il rentre promptement, s'il est principalement reparti sur les riches. Pendant la paix, il est moins avantageux au public, qu'un impôt réel sur les biens, parce qu'il tient trop de l'arbitraire, & qu'à la longue le riche est déchargé, & le pauvre surchargé.

» Les détresses fréquentes de l'état, depuis l'établissement de cet impôt, ont encore contribué à le répartir plus inégalement. Presque toutes les charges ont été taxées à une capitation, & par une maxime qu'on appelleroit plus justement un sophisme, on ne peut être soumis à deux capitations; de façon que plus un homme est riche, plus il est assuré de payer peu de capitation en achetant une charge.

Il paroît cependant que l'esprit primitif de la loi étoit d'asseoir l'impôt en raison des facultés.

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En général, toutes choses dégénèrent facilement en usage parmi nous, & elles subsistent ensuite long-tems; parce que c'est l'usage.

» La même inégalité s'est introduite parmi les compagnies qui paient la capitation en corps; c'est-à-dire, que le plus riche paie autant que le moins riche. S'il est une de ces compagnies où cet abus soit remarquable, c'est parmi les financiers. Quelle que foit leur fortune ou leur portion d'intérêt, la capitation de chacun est égale.

» La France seroit trop puissante, si la répartition des impôts étoit faite également. Que l'on compare la manière de vivre des riches de la capitale, & des principales villes du royaume, au plus fort de la guerre, avec les changemens qui arrivent alors dans les campagnes, on sera surpris, d'un côté, que l'état soit si peu secouru, & que de l'autre il le soit autant.

» Tel impôt qui ne retrancheroit pas dix pistoles sur le jeu, ou sur les dépenses les plus frivoles, dans chaque famille aisée, eût suffi quelquefois, avec les revenus courans, pour faire la guerre, sans que le laboureur en entendit parler ailleurs, que dans les prières pour demander la paix. . .

Autant notre nation est estimable à beaucoup d'égards, autant elle mérite de reproches sur l'intérêt que l'on doit prendre à la gloire & au maintien de la société »

. Un autre écrivain plus récent, & dont nous avons emprunté le dialogue sur les aides, (voyez cet article ), ne s'exprime pas avec moins de force au sujet de la capitation. C'est s'embellir que de citer ses expressions. . . .

Est-il rien de plus arbitraire qu'un pareil impôt? L'asseoira-t-on sur des déclarations. Mais il faudroit entre le monarque & les sujets, une conscience morale qui les liât l'un à l'autre par un mutuel amour du bien général, ou du moins une conscience publique qui les rassurât l'un envers l'autre, par une communication sincere & réciproque de leurs lumières & de leurs sentimens. Or comment établir cette conscience publique qui serviroit de flambeau, de guide & de frein dans la marche des gouvernemens?

» Percera-t-on dans le sanctuaire des familles, dans le cabinet du citoyen, pour surprendre & mettre au jour ce qu'il ne veut pas révéler, ce qu'il lui importe même souvent de tenir caché ? Quelle inquisition; quand même on parviendroit à connoitre les ressources de chaque particulier, ne varient-elles pas d'une année à l'autre, avec les produits incertains & précaires de l'industrie ne diminuent-elles pas avec la multiplication des enfans, avec le dépérissement des forces par les maladies, par l'âge, & par le travail.

Les facultés de l'humanité, utiles & laborieuses, ne changent-elles pas avec les vicissitudes que le tems apporte dans tout ce qui dépend du tems & de la fortune. La taxe personnelle est donc une vexation individuelle sans utilité commune, & sans profit pour l'état». Histoire Ph. D. D. I. édition de 1780,tom.4, in-4°. pag. 638.

Quels que soient les effets de la capitation, on ne peut pas accorder a l'écrivain que nous venons de citer, qu'elle soit sans profit pour l'état, quand il en retire près de trente millions, & qu'elle devient d'ailleurs imposition réelle & territoriale dans les campagnes, puisqu'elle y est imposée au marc la livre de la taille. C'est, sans doute, faute d'avoir bien connu cette distinction dans ce genre d'impôt, que l'on a tiré la conclusion, qu'elle étoit sans profit pour l'état

Au surplus, c'est la déclaration de 1701 qui sert de règle à la levée de la capitation personnelle.

Le ministre des finances prend chaque année les ordres du roi à ce sujet. Il en fait part tant aux chefs des compagnies superieures de Paris & des provinces, qu'aux intendans, aux chefs des jurisdictions inférieures de Paris; à M. le prévôt des marchands, pour l'imposition des habitans, & à M. le lieutenant-général de police, pour celles des communautés d'arts & métiers.

La lettre qui est écrite par le ministre aux chefs des compagnies, pour leur faire connoître les intentions du roi, ne contient point la fixation de l'imposition. Cette fixation est toute faire par le tarif de 1701, avec l'augmentation d'un tiers en sus de chaque taxe.

Pour les provinces, il est arrêté au conseil un état de ce que chacune doit supporter, & le ministre annonce aux intendans la somme fixée pour la capitation de leurs départements respectifs.

On doit observer que dans la masse totale de cette imposition, la capitation que paient la noblesse & les privilégiés, forment dans les provinces l'objet le moins considérable. La portion la plus forte est celle qui est répartie entre les taillables & les non privilégiés, au marc la livre de la taille.

Comme la capitation est sujette à des diminutions, soit par les décharges ou modérations que l'on est obligé d'accorder à ceux qui sont imposés au-delà de leurs facultés, soit à cause des non-valeurs qui surviennent, par le décès de ceux qui meurent avant l'échéance des termes de paiement, on est toujours obligé de demander une somme plus forte que celle qui est fixée pour le trésor-royal.

Les intendans étant plus à portée que le conseil d'évaluer la somme qui pouvoit être necessaire

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pour remplacer dans leur département l'objet des non-valeurs, on leur a laissé, jusqu'en 1765, la faculté de faire ces évaluations, sauf à comprendre dans les comptes, le montant entier du recouvrement. Mais pour ne rien donner à l'arbitraire, le conseil a pris le parti, à cette époque, de fixer & déterminer le montant de la somme qui doit être imposfée, tant pour le contingent du trésor-royal, que pour fournir aux modérations & non-valeurs. Au moyen de cette fixation, il ne peut rien être imposé au-delà.

Jusqu'en 1747, la levée de la capitation subsista sans aucun changement; mais, à cette époque, un arrêt du conseil, du 18 décembre, ordonna, relativement à la capitation, l'exécution de la déclaration, du 7 mai 1715, qui avoit prescrit la perception des quatre sols pour livre, en sus des droits des fermes, avec la restriction que ce cinquième n'auroit lieu, que pendant dix années. En 1757, un nouvel arrêt du conseil a prorogé cette perception encore pour dix années, qui devoient finir le premier décembre-1767; mais elle a été continuée, par arrêt du confeil, du 10 septembre, pour dix autres années, & ensuite, par arrêt du 23 février 1773.

Cette imposition a reçu d'autres accroissemens en différens tems de besoin. En 1760, l'édit du mois de février ordonna que tous les sujets, autres néanmoins que les taillables, dont la capitation s'imposoit au marc la livre de la taille, seroient tenus de payer pendant les années 1760 & 1761, le double de leur capitation, & les quatre sols pour livre; que tous les officiers des grandes & petites chancelleries, les banquiers, & tous particuliers, fermiers, régisseurs des droits de sa majesté, pourvus de charges, emplois & commissions de finance, ou autres places, emportant recette & maniement des deniers publics, même ceux, qui, après avoir exercé pendant dix ans de semblables charges, places, emplois, ou commerce, se seroient retirés, seroient tenus de payer, outre ce premier doublement, un second doublement de la première cote, avec les quatre fols pour livre.

Les doublement & triplement ci-dessus ordonnés pour deux années seulement, furent enfuite prorogés pour les années 1762 & 1763, par déclaration du 16 juin 1761 , enregistrée en lit de justice.

En 1773 & 1774, deux arrêts du 7 septembre & 9 août, ordonnèrent l'imposition au marc la livre de la capitation sur les généralités des pays d'élection, & sur les pays conquis; le premier, d'une somme de quatre cent dix-neuf mille huit cent soixante-treize livres huit sols cinq deniers, pour les années 1774 & 1775; somme destinée à être employée aux dépenses de la construction des canaux de Bourgogne & de Picardie; mais cette contribution, réglée sur la capitation, a été changée en une imposition particulière, accessoire de la taille, par arrêt du conseil du premier août 1775. Voyez Canal.

Pour ne rien omettre de ce qui concerne la capitation personnelle, il convient de faire mention ici de l'arrêt du conseil du 14 novembre 1767, relativement aux négocians en gros ennoblis. Ce règlement rappelle que ceux de ces négocians auxquels il auroit été accordé des lettres, en conformité des arrêts & lettres-patentes du 23 juin précédent, ne pourront être augmentés à la capitation, pour raison, & sous prétexte desdites lettres.

Quant à la manière dont se lève la capitation, & aux formalités auxquelles elle a été assujettie, on peut diviser ces détails en huit articles sommaires, qui comprendront:
i°. Ce qui concerne la capitation de la cour.
2°. La capitation des troupes.
3°. Celle du clergé.
4°. La capitation des pays d'états.
5°. Celle de la ville de Paris.
6°. Celle des financiers.
7°. Celle des arts & métiers.
8°. Tout ce qui a rapport au recouvrement & à la comptabilité de cette imposition.

On terminera par rappeller ce qui est relatif à l'état actuel de la capitation des taillables, & par faire mention de différens projets, dont l'exécution a été proposée pour remplacer cette imposition.

On doit se souvenir que d'après les dispositions de la déclaration du 18 janvier 1695, les princes du sang, les ministres & les autres personnes de distinction, comprises dans la première & la seconde classe du tarif, devoient payer leur capitation directement entre les mains du garde du trésor royal, & que ceux compris dans la troisieme classe, devoient la payer à un receveur particulier.

On jugea d'abord que la comptabilité seroit plus facile, en chargeant une seule & même personne, de recevoir la capitation de ces trois classes, elle fut commise par arrêt du confeil du 18 février 1696, avec la condition qu'elle ne compteroit qu'au conseil.

Sans doute que le paiement de cette imposition éprouva des difficultés & des retardemens, puisqu'un arrêt du 28 juillet de la même année, ordonna que tous les officiers qui servoient dans la maison du roi, seroient contraints au paiement de leur capitation, par saisie de leurs gages & apointemens. On alla même ensuite jusqu'à prononcer la déchéance de tous privilèges, contre ceux qui n'auroient pas satisfait à cette obligation dans les termes prescrits.

L'arrêt du confeil du 9 décembre 1698, ordonna que les gardes du trésor-royal, paieroient sans autre formalité que celle de la saisie-arrêt,

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les sommes dues pour la capitation, de ceux qui recevoient du roi, des pensions, ou des apointemens, & que les quittances du préposé an recouvrement de cette imposition, seroient prises pour argent-comptant.

Ce même arrêt portoit, à l'égard des personnes à qui il n'étoit rien dû par le trésor-royal, qu'elles seroient contraintes au paiement de leur capitation par saisie de leurs revenus, & par l'exécution de leurs meubles.

Cette rigueur, qui avoit accompagné la levée de la capitation dès son origine, la suivit encore lors de fon rétablissement en 1702; les trésoriers & payeurs pour le roi, furent autorisés à retenir sur les gages, pensions & apointemens, le montant de la capitation des personnes qu'ils payoient, à moins qu'il ne fût justifié, qu'ils y avoient satisfait par la représentation de la quittance du receveur de cette imposition.

Cet arrangement qui a long-rems subsisté, a été successivement confirmé par plusieurs arrêts du conseil, & notamment par celui du 25 mars 1738.

Le tarif de la capitation de la cour est tout dressé; le rôle qui est arrêté chaque année au conseil, est à-peu-près toujours le même. Le principal changement consiste à substituer sur ce rôle, aux noms des personnes décédées, les noms de celles qui les ont remplacées.

Ce rôle, signé du ministre des finances, est remis aux trésoriers de la maison du roi & de celle des princes. Depuis la suppression de la place de receveur-particulier de la capitation de la cour, ils en retiennent le montant sur les appointemens qu'ils paient. Cette suppression a été l'objet de l'arrêt du conseil du 31 décembre 1775. Depuis cette époque, on a même cessé de faire les fonds entre les mains de ces trésoriers, du montant de cette imposition, en sorte qu'il n'y a plus de non-valeurs à craindre sur cette partie, & que la taxation ou remise accordée au receveur de la capitation, est passée en économie. Ces trésoriers délivrent des certificats qui justifient que la capitation a été retenue sur les appointemens, afin de servir de décharge aux personnes qui pourroient être imposées à leur domicile. Quant aux personnes de la cour, qui ne font pas employées dans les maisons du roi, de la reine, ou des Princes, & qui ont leur domicile à Paris, il fut ordonné qu'elles paieroient leur capitation, à compter du premier janvier 1776, entre les mains de celui des receveurs des impositions de la ville de Paris, dans le département duquel elles seroient domiciliées, & il lui fut accordé deux deniers de taxations sur cet objet.

Le recouvrement de la capitation des troupes, n'exige aucuns frais, & n'entraîne aucune dépense.

Le tarif qui en fut arrêté au conseil royal des finances, le 21 octobre 1701, est d'un tiers plus fort que celui qu'on ayoït formé en 1695; mais il a peu varié depuis, si ce n'est que les quatre sols pour livre additionnels se paient par les troupes comme par tous les autres sujets.

Le tarif en a été renouvelle & rectifié en 1764, par une ordonnance du 24 février, qui a eu pour objet de rendre la fixation plus exacte, & proportionnée à toutes les classes militaires.

Cette ordonnance porte , que la retenue de la capitation de tous les officiers des troupes de la majesté, ensemble les quatre sols pour livre en sus, sera faite fur les appointemens qui feront payés par les trésoriers-généraux de l'extraordinaire des guerres, & par leurs commis, dans les provinces, camps & armées.

Que cette retenue se fera en deux portions égales, savoir, la première moitié en mars, & la seconde en septembre.

Enfin qu'elle aura lieu sur les régimens, escadrons, bataillons & compagnies, tant d'infanterie que de cavalerie & dragons, sur le pied complet, sans avoir égard aux emplois vacans, sauf aux major & officiers chargés du détail, à le faire supporter par ceux qui remplirent les emplois vacans.

Voici le tarif qui se trouve joint à cette ordonnance de 1764, & qui comprend les quatre sols pour livre du montant de chaque imposition.

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Page créée par Stevenoot pierre le 25/08/11.