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sa foi naïve et son ardent amour du grand, du sublime
et du merveileux.
Les vieilles choses ont un caractère spécial; elles
semblent grandir dans une apothéose de gloire au
fur et à mesure qu'elles s'éloignent de vous. Le
moyen-âge avec sa sombre nuit, ses profondeurs
cachées, son effayant mysticisme a tout concentré
dans l'église. La littérature même a conservé quelque
chose des anciens sanctuaires. C'est sans doute, l'as-
pect imposant des sombres cathédrales qui en est
la cause et frappe d'abord l'imagination des trouvères
et des ménestrels. Du couvent ou de l'église la poésie
religieuse, sous forme de cantique, pénétra dans
l'humble demeure du serf attaché aux glèbes et le
Kyrie Eleison est bientôt le refrain de la plupart de
nos chansons populaires. Le couplet est en langue du
pays, tandis que le refrain conserve la forme latine.
Pour le peuple l'église était donc tout. C'est là que
le pauvre manant, pliant sous la corvée, allait prier
avec l'espoir d'habiter un jour un monde meilleur;
c'est là qu'il se retrouvait le dimanche avec ses égaux,
humble et agenouillé sur la froide dalle, jetant un
timide et craintif regard vers le banc d'honneur où
trônait son maître et seigneur.
Et il en était ainsi dans chaque village où le clocher
avait parfois des accents doux et persuasifs pour con-
soler le pauvre, et l'appeler à la prière.
Jadis, aux grandes solennité de Pâques ou de la
Pentecôte, toute la campagne se réveillait au son des
cloches et dans l'air pur du matin, de Steene à Pitgam,
de Drincham à Looberghe,jusqu'au prieuré de Watten,
on pouvait entendre les joyeuses sonneries.
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Les cloches clamaient alors, en des gammes aiguës,
des notes vives et brillantes, des sons clairs et légers
comme des voix d'enfants, et cette joyeuse harmonie
du bronze allait encore plus loin, là-bas, vers Saint-
Omer, où la vielle tour de Saint-Bertin, Comme une
aïeule qu'on dérange, arrivait, par les notes graves
de ses bourdons, à réduire au silence toutes ces
lointaines sonorités d'églises, tel un chantre à la voix
puissante qui, dans une cathédrale, couvrirait les
voix mélodieuses de jeunes nonnes, psalmodiant le
dimanche autour du vieux lutrin.
L'église est le seul monument qui a connu toutes
les péripéties de l'histoire locale. Son clocher est
l'ancêtre commun, l'aïeul du village. Il est l'image
du passé; il gardé le culte et le souvenir des
légendes d'antan.
Et maintenant les choses du vieux temps prennent
pour nous des teintes neutres, très douces et légè-
rement rouillées comme la feuillée d'automne. Les
fleurs ont disparu, la poésie de la vie seule est restée.
Chaque chose a son genre de beauté qui attire. La
beauté, c'est l'amour ! L'amour est éternel ; mais
parfois aussi l'humanité inquiète entrevoit les
sombres arcanes de l'avenir. Et, dans les temps
anciens, lorsque nos pères malheureux songeaient
aux effrayantes perspectives de la mort, c'était vers
l'église qu'elles se tournaient.
La religion paraît innée dans le coeur de l'homme,
surtout chez le famand, où elle semble faire partie
de sa chair, de son sang.
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