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C'était donc un dimanche. Pitgam était en liesse ;
un violoneux venu de très loin jouait des airs de
circonstances près du porche de l'église. De temps à
autre sa voix chevrotante et plaintive chantait le
refrain d'une vieille chanson flamande. Elle avait des
accents de tendresse presque inspirés, comme si le
vieux chanteur avait senti au fond de son âme de
paysan toutes les misères et toutes les courtes joies
des temps anciens. Des enfants l'écoutaient tournant
autour de lui sur la place, les fermiers endimanchés
allaient silencieusement au cabaret pour voir ce qu'on
voulait d'eux. Plusieurs disaient que le Roi, à bout de
ressources, allait exiger de nouveaux impôts , d'autres
mieux renseignés observaient un certain mutisme.
Le paysan semble avoir une intuition profonde de
ce qui se passe hors de chez lui, surtout le paysan
flamand. Sa volonté est inébranlable ; moins nerveux
que celui du centre ou du midi, il est par conséquent
moins sujet à être influencé par les sectaires ou ceux
qui promettent des choses irréalisables. Grâce à sa
vieille expérience, il comprend mieux que tout autre
ses besoins, ses droits et ses devoirs. Le spectacle
continuel de la nature, la vie rustique qu'il mène
depuis des siècles au niilieu de ses champs et de ses
bêtes lui fait mieux deviner le danger d'aller trop vite,
lorsqu'il s'agit de changer sa façon de vivre ou de
rompre avec le passé. Il comprend la nécessité des
lentes évolutions et le peu qu'il sait, il le sait parfaite-
ment car il l'a appris à ses dépens. De nos jours
encore le paysan, ou plutôt l'humble ouvrier des
champs n'est-il pas supérieur, comme homme pratique,
à l'ouvrier des villes qui, la plupart du temps, n'a
 
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aucune volonté et subit sans même s'en rendre compte
les idées et les volontés de ceux qui le dirigent.
C'est pourquoi dans tous les actes de la vie le paysan
est plus sérieux, plus froid et possède une idée plus
juste de l'état actuel des choses. Il est partisan du
progrès, de tout ce qui peut améliorer son sort, mais
il est prudent quant aux moyens à employer pour y
arriver.
Souvent il laisse faire les autres, les plus hardis les
plus osés et si leur système lui apparait applicable ou
juste, il l'examine encore bien attentivement avant de
le mettre en pratique : Sainte routine, diront certains,
la prudence est mère de la sûreté, répondra le paysan;
mais ne nous écartons pas trop de notre sujet !.....
Une grande affiche avec le gros timbre noir à trois
fleur de lys, était collée sur la porte de l'église et au
son du tambour, le crieur faisait savoir que le règle-
ment royal allait être appliqué pour l'exécution des
lettre de convocation du 24 janvier 1789.
Cette affiche disait :
« Le roi en adressant, aux diverses provinces sou-
mises à son obéissance des lettres de convocation
pour les Etats Généraux a voulu que ses sujets
fussent tous appelés à concourir aux élections des
députés qui doivent, former cette grande et solen-
nelle assemblée ; Sa Majesté a désiré que des extré-
mités de son royaume et des habitations les moins
connues,chacun fut assuré de faire parvenir jusqu'à
elle ses voeux et ses réclamations. Sa Majesté a donc
reconnu, avec une véritable satisfaction qu'au moyen
des assemblées graduelles ordonnées dans toute la
 
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