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Chez nos populations flamandes, la religion a
conservé un charme brillant et nuancé comme le beau
ciel d'Espagne. La munificence des ornements sacer-
dotaux, les pompes du culte, les richesses des autels,
les vitraux flamboyants, les solennités du dimanche
où le chant des fidèles se mèle à celui du prêtre, le
profond recueillement qui règne dans chaque église,
sont bien espagnols et révèlent l'âme ardente de ce
peuple dévot et croyant.

Le flamand est plutôt pratiquant que religieux. Il
tient de l'Espagne le culte des saints, des images ou
statues de martyrs exhalant leurs derniers soupirs
dans d'atroces souffrances; il a une dévotion parti-
culière pour la Vierge à laquelle il érige, même de
nos jours, des oratoires ou petites chapelles sur la
plupart des chemins vicinaux.

Beaucoup de maisons de Pitgam possédaient jadis
et possèdent encore des niches creusées dans la mu-
raille au-dessus de la porte d'entrée. A l'intérieur, il y
a toujours une Vierge et parfois deux chandeliers.
Dans certaines brasseries, on voit un Saint Arnould,
patron de l'ancienne corporation des Brasseurs, -
quand le Saint Arnould n'est pas remplacé par un
Gambrinus.

Et, lorsqu'on songe au temps passé, on croit revoir
dans la joie d'un dimanche d'été, la vieille église
lourde et massive dont les fenêtres en ogives scintil-
lent sous les rayons d'un gai soleil. Le ciel est clair,
les tombes fraîchement peintes étalent leurs croix
de bois, parmi les ormes et les vieux chênes du
cimetière. Le clocher chante ; le carillon annonce la

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grand'messe par des notes graves ou calmes que la
brise emporte là-bas du côté de Drincham.

Une vieille femme arrange près du porche sa petite
boutique de cierges et de scapulaires pendant qu'un
autre marchand ambulant aligne le long de la haie de
pieuses images où de petits anges roses et gras-
souillets jettent des fleurs sur le front des madones.
Des miséreux accroupis semblent dormir, un vieux
chapelet immobile entre leurs doigts crochus de men-
diants maraudeurs. Les champs sont déserts, les
maisons closes, les chemins silencieux.Tout le monde
prie à l'église; les cloches sont maintenant muettes,
mais les orgues essoufflées accompagnent, sous la nef,
les cantiques psalmodiés par ces voix rudes de
paysans, habitués aux travaux de la terre. Et les
chants rauques et lourds viennent s'abattre an pied
de l'autel comme une rafale de sons. Puis les cloches
recommencent à tinter de nouveau. Lentement, la
procession sort de l'église, les bannières en avant,
les statues de saint Folquin et de sainte Anne portées
par des vieillards; celles de la Vierge et de sainte
Catherine par des jeunes filles voilées de blanc. Le
vieux curé, sous un dais de velours, tient le bel osten-
soir, brillant comme une gloire de soleil au milieu
de l'azur; et le Seigneur ou son bailly marchent
derrière au premier rang des marguilliers; puis
suivent les notables, les gens de loi, le sergent, les
censiers et les manants des fermes et des manoirs,
heureux et contents, les yeux à demi-clos, presque
éblouis par la lumière, qui descend du ciel pour dorer
les moissons.

A cette époque, la vie avait une stabilité que nous

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