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Ses écrits virulents circulent partout, pénètrent dans
les palais et les chaumières comme un chant d'allé-
gresse annonçant la bonne nouvelle...

C'est d'abord un choral grave et triste, rêveur et
menaçant, écrit dans la langue imagée des vieux
Niebelungen. Puis le lion rugit et les colères superbes
de ses chants vont secouer la torpeur du vieillard
habillé de blanc qui porte au doigt l'anneaau de Pierre.

Et le moine saxon tonne contre les indulgences
que l'église faisait vendre pour édifier la plus gigan-
tesque, la plus orgueilleuse des cathédrales, comme
pour affirmer une dernière fois la suprématie de
Rome sur toute la chrétienté.

« Ma forteresse, c'est mon Dieu qui ébranle
les armées du vieux monde, dit-il » ou
encore « Bonnes gens, on vous vend les dis-
penses des oeuvres. Remettez l'argent dans
votre poche, Dieu vous sauve gratis. Des
oeuvres, la seule nécessaire, c'est croire en
Lui, de l'aimer. Quoi, Dieu est mort pour
vous et il n'y aurait pas assez du sang d'un
Dieu pour laver tous les péchés de la terre?»
Puis, il ajoute encore « Aime et crois », qui n'est
autre que le texte de Saint-Paul: «Crois et tu es sauvé.»

La Réforme parait dans l'histoire comme l'aurore
d'un jour longtemps attendu. Elle fait l'effet d'un
coup de cloche dur et strident allant, comme une
fusée de sons cuivrés, réveiller les échos des vieilles
cités allemandes, des universités, dormant leur lourd
sommeil sous la tutelle des saints gothiques priant
pour les vivants au fond des cloîtres morts. Les idées

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nouvelles franchissent les frontières ; rien ne peut
arrêter le torrent qui menace de tout bouleverser,
de tout engloutir. La théologie de l'impuissance
humaine, qui est le reflet même de celle de Gerson,
dans l'Imitation de jésus-Christ, semble avoir fait son
temps ; elle parait être la fin d'une antique croyance
d'idées vieilles. surannées. L'homme, désormais,
n'admettra plus l'ommipotence du prêtre, l'infaillibilité
du Pape et prendra L'Evanngile comme le pain des
forts.

Après avoir germé en France, les idées nouvelles
prirent racine en Flandre où veillait déjà l'Inquisition
d'Espagne. Nons ne retracerons pas ici l'immoralité
des procédures et les cruels spectacles de cet odieux
tribunal que le duc d'Albe, de sinistre mémoire,
installa dans toutes les villes des Pays-Bas. Qu'il nous
suffise de dire que I'Inquisition fut non seulement
une calamité pour l'Espagne, mais aussi un grand
malheur pour notre pays. Dans toutes les villes et
villages de la Flandre maritime, de nombreuses
réunions avaient eu lieu pour protester contre les
procédés employés par les Inquisiteurs. Beaucoup de
mécontents, ennemis de la domination espagnole,
prirent fait et cause pour la religion nouvelle et les
plus zélés, parmi les nouveaux adeptes, parcoururent
les campagnes, encourageant les timides ou les irré-
solus à secouer le joug des moines fanatiques que le
farouche duc d'Albe avait lâchés sur le pays.

Le peuple se soulevait partout. Dans la paroisse
de Warhem, la ferme d'un échevin de Bergues
avait servi de prêche, tandis que tout près de là, à
Hoymille, un pasteur d'Ipres était venu faire plu-


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