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Ce sont là des plaisanteries populaires, ajoute
l'auteur de « L'église des Campagnes au moyen
âge », Vieilles comme le monde et qu'on ne saurait
prendre au pied de la lettre ; tous les esprits im-
partiaux en demeurent d'accord. Les savants auteurs
de l'histoire littéraire de France reconnaissent, à
maintes reprises, que les fabliaux, les satires ne
sont pas la représentation exacte des mœurs et de
l'état d'une société. Le reproche d'avarice se re-
trouve toutefois dans d'autres écrivains plus sérieux,
dans des sermons même ; un sermon prononcé en
1283 par Amand de St-Quentin reproche aux curés
« de rançonner leurs paroissiens le jour de leur mort
et les compare plaisamment aux auberbgistes qui
écorchent les voyageurs le jour de leur départ(1)».

Il est aussi une chose à remarquer, c'est que les
riches et puissants abbés se montrent parfois très
durs vis-à-vis des curés des paroisses dont ils sont
souvent les décimateurs. Cette situation n'échappe
même pas au Pape Alexandre III ; il se plaint des
abbayes qui laissent si peu de chose aux curés, au
point que ces derniers ont à peine de quoi vivre et
s'entretenir convenablement. Le Concile de Latran,
sous Innocent III, va plus loin : il condamne l'avarice
des abbés ou prieurs qui ne donnent aux curés que
le quart du quart, c'est-à-dire la seizième partie des
dîmes. Il arrive même, dit Thomassin (et il cite
de très nombreux exemples) que les abbayes retien-
nent pour elles toutes les dîmes et ne laissent aux
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(1) Histoire littéraire de la France, tome XXXVI, page 138

                                                                                    

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curés qu'une partie seulement, des offrandes, des
aumônes et des legs pieux(1).

L'Autorité supérieure ecclésiastique a toujours sévi
avec rigueur contre l'avarice des moines et des prêtres,
lorsque ces derniers réclamaient une rétribution ou
un salaire quelconque pour l'exercice du culte. Il est
dit dans les statuts de Nîmes : « Sous peine d'exco-
munication, nous défendons aux prêtres ou clercs de
ne rien demander pour la bénédiction des mariés.
pour les funérailles des morts et cela nonobstant
tout usage contraire qui doit plutôt être appelé
corruption ; qu'ils confèrent gratuitement et litté
ralement tous les sacrements ; cependant, ils peu-
vent recevoir avec reconnaissance et gratitude ce
qu'on leur offre spontanément(2) ».

La vie du prêtre devait donc être désintéressée à
tous égards au point que l'Eglise défendait même aux
curés de recevoir des dons ou des legs de leurs mala-
des ou de ceux qu'ils confessaient :« Nous défendons,
disent encore les statuts du diocèse de Nîmes, que
les chapelains des églises de notre diocèse ne
reçoivent la donation des biens de leurs paroissiens
malades à moins qu'ils ne soient leurs parents. Ils
ne peuvent recevoir de donations que pour leur
église, parce que, sans qu'ils s'en rendent compte,
de pareilles donations aux prêtres et aux chapelains
sont faites au préjudice des malades des églises(3)».
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(1) Thomassin, op. cit. tome VI, page604.
(2) De Martene, op. cit. livre IV, cal. 1054.
(3) De Martene, op. cit. livre IV, cal. 1066.
                                                                                           

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