source: Choix de chroniques et mémoires sur l'histoire, XVème siècle Volume 9
Par Jean Alexandre C. Buchon 1836
CHRONIQUES D’ENGUERRAND DE MONSTRELET
Engeurrand De Monstrelet né vers la fin du XVème siècle mort en 1453
Livre second
Ne sont repris que les chapitres concernant la bataille de Calais de 1346 depuis la préparation de l'ost du duc
de Bourgogne jusqu'aux conséquences de la débacle dans le pays flamand.
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CHAPITRE CXCVI.
Comment, après la paix d'Arras, le duc de Bourgogne conclut de faire et mener guerre aux Anglois.
Durant le temps que les besognes dessus dites se commencèrent fort à enfeloner et animer entre les deux parties
d'Angleterre et de Bourgogne, comme dit est, fut avisé parle dit duc et aucuns pour tant de ses féables conseillers qu'il
seroit bon de trouver manière secrète qu'icelles deux parties ne fissent point de guerre l'un contre l'autre, et que
leurs gens, pays, amis et alliés demeurassent paisibles comme neutres. Et afin de à ce pourvoir, fut mandé devers le duc
dessus dit messire Jean de Luxembourg, comte de Ligny, qui point encore n'avoit fait de serment au roi Charles de France ;
lequel, à la requête d'icelui duc, se chargea d'en écrire à l'archevêque de Rouen, son frère, lequel étoit un des
principaux conseillers du roi Henri d'Angleterre, et son chancelier sur la marche de France. Et adonc fut icelle besogne
mise en conseil, et, qui plus est, icelui archevêque envoya en Angleterre devers le roi Henri et les siens. Si fut avisé,
pour mieux faire que laisser, qu'il seroit bon qu'icelles deux parties demeurassent en bonne union l'une avec l'autre,
quant au fait de la guerre. Et pour tant, la réponse ouïe, fut écrit au dit messire Jean de Luxembourg par son frère : que
sa requête seroit mise à effet, et que bonne sûreté se bailleroit de la partie des Anglois de non faire quelque entreprise
sur le dessus dit duc de Bourgogne, ses pays et sujets, moyennant qu'il feroit pareillement à la partie du dit roi Henri
d'Angleterre. Et alors bref ensuivant que le dit comte de Ligny eut reçu par écrit icelle réponse, il l'envoya devers icelui duc de Bourgogne, en faisant savoir à lui par iceux s'il seroit content de procéder outre ; lequel fil faire réponse par la bouche de l'évèque de Tournai que non , car naguère et de nouvel les dessus dits Anglois avoient fait contre lui et ses sujets de trop grands dérisions , en diffamant en plusieurs lieux sa personne et son honneur ; avoient aussi rué jus de quatre à cinq cents combattants de ses gens sur les marches de Flandre ; et aussi d'autre part. comme dit est ailleurs, avoient voulu prendre d'emblée la ville d'Ardre. Et cette chose avoient connu et confessé quatre de leur parti, qui pour celle cause en icelle ville d'Ardre avoient eu
les hâtereaux coupés, et si avoient fait plusieurs autres entreprises, lesquelles ils ne purent bonnement passer sous
dissimulation.
Après laquelle réponse en cette manière faite par le dit évêque de Tournai aux gens du dit messire Jean de Luxembourg,
comte de Ligny, requirent au dit duc de Bourgogne qu'il lui plût sur ce écrire ses lettres à leur seigneur et maître,
lequel leur accorda et signa de sa main. Depuis lesquelles lettres envoyées par la manière devant dite, le dit duc de
Bourgogne fut fort et par plusieurs fois instruit et enhorté par aucuns de son conseil à lui préparer et faire ses
apprêts a mener guerre contre les dits Anglois, pour garder son honneur ; et tant que assez bref ensuivant il fit écrire
et envoya ses lettres au royaume d'Angleterre devers le roi Henri, en lui signifiant et récitant les entreprises qui
avoient été faites de sa partie, depuis la paix d'Arras, à rencontre de lui, de ses gens et sujets, lesquelles sembloient
être à lui et aux siens, tant étranges, grièves et préjudiciables, que, pour son honneur et lui mettre en devoir,
ne devoient plus être tues ni dissimulées; disant en outre que s'il en étoit fait aucune chose de sa part, nul n'en
devrait avoir merveilles ni donner charge à lui ni aux siens ; car assez et trop lui en étoit donnée occasion et cause
raisonnable, dont moult lui déplaisoit.
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Adonc les dessus dites lettres du duc de Bourgogne reçues et lues par le dessus dit roi d'Angleterre et son conseil, ils
furent tous acertenés d'attendre et avoir la guerre au dessus dit duc de Bourgogne. Et sur ce, furent garnies et fournies
toutes les forteresses du Boulenois, du Crotoy et autres lieux à l'environ, à l'encontre de ses pays, prêtes pour attendre
toutes aventures qui pourroient advenir. Et pareillement fit le dessus dit duc de Bourgogne garnir les siennes. Et adonc
le roi d'Angleterre envoya ses lettres ès marches de France et en aucunes bonnes villes, afin qu'on sût la vérité de la
querelle que le duc de Bourgogne prenoit contre lui ; lesquelles en substance contenoient excusations des charges
qu'icelui duc et les siens vouloient donner sur lui et sur ses gens des entreprises dessus dites.
Entre lesquelles remontrances récitoit les lettres qu'il avoit écrites en Hollande, non point pour induire les habitants
a nul mal ; et aussi des alliances qu'il avoit voulu et vouloit faire avecque l'empereur d'Allemagne, et étoit en sa
franchise de ce faire, et du mandement secret qu'il faisoit en Angleterre pour grever le dit duc, comment il avoit écrit;
et non étoit si secret que par toute Angleterre étoit commune voix ; et ne le vouloit point céler, pource qu'il pourrait
faire assembler gens pour employer où bon lui semblerait; disant outre, par icelles, que les dites charges qu'on lui
avoit voulu bailler étoient sans cause, comme il poùvoit pleinement apparoir par les œuvres qu'avoient faites contre lui
et ses sujets le dessus dit duc de Bourgogne et ceux de sa partie ; laquelle charge, au plaisir de Dieu, retournerait
dont elle étoit venue.
CHAPITRE CXCVII.
Comment le duc de Bourgogne avec aucuns de ses privés conseillers se conclut d'aller assiéger et conquerre la ville de
Calais.
Assez bref ensuivant, après que le duc de Bourgogne eut écrit ses lettres, comme dit est dessus, au roi d'Angleterre,
contenant les entreprises faites contre lui et ses sujets par le dit roi et les siens, voyant les besognes en tel point
que pour venir lui et ses pays en guerre contre les Anglois, tint par plusieurs fois grands conseils, afin de savoir
comment et par quelle manière il pourrait conduire son fait; ès quels furent plusieurs diverses opinions mises en avant.
Et vouloient les aucuns que le dit duc de Bourgogne commençât la guerre, et qu'il assemblât sa puissance de tous ses pays
pour résister contre les dits Anglois et conquerre la ville de Calais, qui étoit de son propre héritage. Les autres
étoient d'autre opinion; car en icelui cas pensoient et contrepensoient moult le commencement, entretènement et fin
d'icelle guerre, disants que les Anglois étoient moult près de plusieurs des pays du dessus dit duc, et y pourroient bien
entrer a leur avantage quand bon leur semblerait; et ne savoient quelle aide il pourrait trouver au roi Charles, son
seigneur, et en ses princes, à qui il s'étoit rallié, si aucune mauvaise fortune lui advenoit. Toutefois, quand tout eut
été débattu par plusieurs journées, la conclusion fut prise que le dessus dit duc ferait guerre, et requerroit en aide
ceux de ses pays de Flandre, de Hollande et d'autres lieux, pour lui aider à conquerre la dessus dite ville de Calais et
la comté de Guines. Si étoient les principaux du la dite conclusion de faire guerre, maître Jean Chevrot, évêque de
Tournai; le seigneur de Croy, maitre Jean de Croy, son frère, messire Jean de Homes, qui étoit sénéchal du Brabant, le
seigneur de Charny, le seigneur de Crèvecœur, Jean de Brimeu, bailli d'Amiens, et plusieurs autres. Auxquels conseils ne
furent point appelés plusieurs grands seigneurs qui continuellement avoient servi et soutenu grand' partie de la guerre
avecque le dit duc, durant son régne, contre tous ses adversaires, c'est à savoir messire Jean de Luxembourg, le seigneur
d'Antoing, le vidame d'Amiens, le bâtard de Saint-Pol, le seigneur de Saveuse, Hue de Launoy, le seigneur de Mailly et
moult d'autres nobles et puissants hommes, tant des pays de Picardie comme d'autres étant en la puissance du dit duc; pour
quoi il leur sembloit qu'ils n'étoient point tant tenus d'eux et leur puissance employer au fait de la dite guerre, comme
s'ils eussent été appelés.
Néanmoins, après la conclusion dessus dite, le dit duc alla en sa ville de Gand, auquel lieu il fit assembler, en la
Chambre des Collations, les échevins et les doyens des métiers d'icelle ville; auxquels, lui étant présent, il fit
remon-
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trer par maître Goussuin Le Sauvage, un de ses conseillers de son châtel de Gand, comment la ville de Calais appartenoit
jadis à ses prédécesseurs, et qu'elle étoit de son droit domaine et héritage, à cause de sa comté d'Artois, jà soit ce
que les Anglois l'avoient de long temps occupée par force et contre son droit, comme de ce ils pouvoient assez
véritablement être informés, tant par ce qu'autrefois leur avoit fait remontrer par messire Collart de Commines,
souverain bailli de Flandre, comme par autres ses conseillers et serviteurs. Et aussi avoient les dits Anglois, depuis la
paix d'Arras, fait plusieurs entreprises contre lui et ses pays et sujets, dont il étoit moult déplaisant; et mêmement
avoient en divers lieux écrit et proclamé de très grands injures et diffames contre sa personne ; pour quoi il avoit
cause bonnement, sauve son honneur, de non plus souffrir ni dissimuler contre iceux Anglois; et pource leur faisoit
requête et prière très instamment qu'ils lui voulsissent aider à reconquerre icelle ville de Calais, laquelle, comme
disoit le dit maître Goussuin, étoit moult préjudiciable à toute la comté de Flandre, pour ce que les laines, étain,
plomb, fromages et autres marchandises que ceux de Flandre y achetoient, on ne pouvoit payer de quelque monnoie, tant fût
de bon aloi, à leur plaisir; et leur convenoit bailler or ou argent fondu et affiné, ce que point ne faisoient les autres
pays; et ce relatèrent être vrai les dits doyens des métiers.
Après lesquelles remontrances faites bien au long, grand' partie des dits échevins et doyens de la dite ville de Gand,
sans prendre délibération de conseil ni jour d'avis pour parler aux autres membres de Flandre, se consentirent à la guerre;
et ne pouvoient être ouïs aucuns seigneurs et gens sages et anciens qui étoient de contraire opinion. Et qui plus est,
quand les nouvelles en furent épandues par les autres villes et pays de Flandre, furent tous volontarieux à celle besogne.
Et tardoit moult à la plus grand' partie que on y procédoit si lentement; et étoient trop malement désirants de montrer
comment ils étoient bien armés et pourvus d'engins et autres habillements de guerre. Si procédèrent en ce arrogamment et
pompeusement; et pour vrai il leur sembloit que la dite ville de Calais n'auroit point de durée contre eux. Et depuis ce
jour en avant commencèrent à eux pourvoir de toutes besognes servant à la guerre. Et pareillement fit le dit duc de
Bourgogne faire requête aux autres membres et châtellenies de sa comté de Flandre d'avoir aide et secours; lesquels
lui accordèrent libéralement. Et d'autre part, icelui duc s'en alla en Hollande, et fit requête à ceux du pays que
aussi ils lui fissent aide de gens et de navires pour aller audit lieu de Calais. Lesquels lui accordèrent grand' partie
des dites requêtes; et après s'en retourna, et fit par tous ses pays faire grands préparations de guerre contre les dits
Anglois en intention de reconquerre la dite ville de Calais.
Après ce que les besognes dessus dites eurent été longuement démenées, comme dit est, entre les Anglois et Bourguignons,
et que chacun d'icelles parties se gardoit l'un de l'autre, et déjà avoient fait de chacune partie aucunes entreprises,
lors le duc de Bourgogne envoya de ses pays de Picardie le seigneur de Ternant, messire Simon de Lalain et autres de ses
capitaines, atout six cents combattants, à Pontoise, à l'aide du seigneur de l’Ile-Adam, pour lui aider à garder la
frontière contre les dits Anglois , lesquels menoient forte guerre à icelle ville de Pontoise, pour tant que le seigneur
de l'Ile-Adam l'avoit naguère prise sur eux. Avec lesquels se assembloient très souvent les François, et contendoient
très fort à reconquerre la ville de Paris pour la partie des dits François. Durant lequel temps, la femme du roi Charles
accoucha d'un fils, lequel le dessus dit roi fit lever au nom du duc de Bourgogne, et fut nommé Philippe. Si le tint sur
les fonts, pour le dit duc, Charles de Bourbon, et avecque lui Charles d'Anjou, frère de la reine ; et après qu'il fut
baptisé, envoya le roi ses lettres par un poursuivant devers le dit duc, par lesquelles il lui signifioit ce que dessus
est déclaré, en lui requérant que ce qu'il en avoit fait il le voulsit avoir pour agréable. Lequel duc fut d'icelles
nouvelles très joyeux, et donna au dit poursuivant de très riches dons, comme prince. Et entretemps, le dit duc faisoit
par tous ses pays de grands requêtes a ses sujets pour avoir aide de gens et de finance contre les Anglois.
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CHAPITRE CCII.
Comment les Anglois de Calais coururent vers Boulogne et Gravelines, et déconfirent les Flamands; et de La Hire, qui gagna
Gisors, et tantôt le perdit.
En ce temps, après que les besognes dessus dites furent ainsi approchées de guerre, comme dit est ci-dessus, entre les
Anglois et les Bourguignons, et que chacune des parties étoit sur sa garde, iceux Anglois vinrent courre devant Boulogne,
et cuidèrent prendre la Basse-Boulogne; mais elle leur fut fort défendue. Si ardirent partie du navire qui étoit en havre,
et après se retrahirent atout ce qu'ils purent avoir en leur forteresse sans perte. Et assez bref ensuivant, se mirent
ensemble de cinq à six cents combattants, et allèrent fourrager les pays vers Gravelines; mais les Flamands de la marche à
l'environ du pays s'assemblèrent et coururent sus aux dessus dits Anglois, outre la volonté des gentilshommes qui les
conduisoient, c'est à savoir Georges de Ubes et Chéry de Hazebrouck. Si furent tôt vaincus et mis à déroi; et en y eut de
trois a quatre cents morts et bien six vingts prisonniers; lesquels par les dits Anglois avecque grands proies furent
menés dedans la ville de Calais et ès autres forteresses de leur obéissance; et les autres se sauvèrent par les haies et
buissons où ils purent pour le mieux.
Auquel temps aussi La Hire, qui se tenoit à Beauvais et à Gerberoy, par certains moyens qu'il avoit en la ville de Gisors,
entra dedans à puissance, et gagna la dite ville ; mais aucuns de la garnison étant léans se retrahirent en la forteresse,
fut envoyé si fort qu'ils reconquirent la ville; et s'en partirent La Hire et les siens plus tôt que le pas, réservé de
vingt à trente qui demeurèrent en icelle ville, que morts que pris, avecque grand' quantité des habitants ; desquels par
iceux Anglois fut faite grand' destruction , pour tant qu'ils éloient demeurés avecque leurs ennemis.
CHAPITRE CCIII.
Comment les Gantois et ceux du pays de Flandre firent grand appareil de guerre pour aller devant la ville de
Calais.
Durant le temps dessus dit, les Gantois, pour savoir leur puissance, mandèrent par toutes leurs châtellenies et ès pays à
eux sujets que tous ceux qui étoient leurs bourgeois, de quelque état qu'ils fussent, réservé ceux qui étoient a leur
prince, vinssent dedans trois jours eux montrer devant les échevins de Gand et faire
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écrire leurs noms et leurs surnoms, sur peine de perdre la franchise de leur bourgeoisie, et avecque ce, qu'ils se
pourvussent d'armures et d'habillements nécessaires à guerre. Aussi firent publier que ceux qui étoient condamnés pour
leurs maléfices par les dits échevins ou autres arbitres à faire pélerinage, fussent tenus pour excusés jusqu'au retour
d'icelui voyage et quatorze jours après ; et que ceux qui avoient guerre ou dissension l'un a l'autre demeureroient en la
sauvegarde de la loi le dit voyage durant; et qui l'enfreindroit, il serait puni selon la coutume de la dite ville. Item,
en outre, fut défendu que nul du pays, de quelque état qu'il fût, ne menât ou fit mener hors d'icelui pays aucunes armures
ou habillements de guerre, sur peine d'ètre banni de dix ans. Après lequel mandement dessus dit, firent en icelle ville
de Gand et en leur châtellenie moult grand appareil de guerre ; et savoient toutes les villes fermées et les villages
combien ils devoient délivrer de gens pour accomplir le nombre de dix-sept mille hommes, que ceux de la dite ville de
Gand avoient promis à délivrer à leur prince en cette présente année ; et pareillement savoient bien combien chacun
ménage devoit payer de taille des assiettes qui se faisoient pour la dépense d'icelle guerre. Et après, mandèrent par
toute leur obéissance qu'on leur fit finance pour leurs deniers de chars et de charrettes, le tiers plus qu'on n'en avoit
livré jadis pour le voyage de Ham-sur-Somme; et furent leurs mandements publiés par toutes leurs châtellenies par les
officiers des lieux. Et pour tant que bonne expédition ne fût mie de ce faite du tout à leur plaisir, ils envoyèrent
derechef autre nouvel mandement aux dits officiers, par lequel ils leur signifioient, si de trois jours ensuivant
n'avoient envoyé montrer en la dite ville de Gand, devant leurs commis, leurs chars et charrettes dessus dits, en nombre
qu'ils les demandoient et requéroient, ils envoieroient le doyen des Blancs-Chaperons et ses gens ès dites villes pour
prendre iceux chars et charrettes sur les plus apparents, sans rien épargner aux dépens de ceux qui auront été refusant
de les bailler.
Lequel second mandement vu, pour la doute des dessus dits Blancs-Chaperons, les devant dits paysans firent si bonne
diligence que ceux de Gand furent bien contents d'eux. Si ordonnèrent et conclurent, afin que chacun d'eux fussent
embâtonnés, que chacun se pourvût de courts maillets de plomb ou de fer, à pointes et de lances, et que deux maillets
vaudroient une lance ; et qu'autrement ne seraient point passés à montre, et si en seraient punis ceux qui en seraient
défaillants. Et d'autre part, ceux de Bruges et les autres membres firent, chacun selon leur état et puissance, très
grands appareils et ordonnances pour aller en icelle armée. Et fut bien par l'espace de deux mois ou environ, que la plus
grand' partie de tous ceux qui étoient ordonnés pour aller en icelui voyage ne faisoient aucunement leur métier ni leur
labeur, ainçois la plus grand' partie du temps s'occupèrent d'aller dépendre le leur par grands compagnies ès tavernes et
cabarets ; et souvent s'émouvoient de grands débats et rumeurs les uns contre les autres, par le moyen desquels en y
avoit souvent de morts et de navrés. Et entre-temps, le duc de Bourgogne préparait ses besognes à toute diligence pour
fournir icelui voyage de Calais. Durant lequel temps en y avoit un nommé Hannequin Lyon, natif de Dunkerque, lequel, pour
ses démérites, avoit été banni de la ville de Gand, et s'étoit rendu fugitif du pays. Si devint écumeur de mer; et, par
son engin et diligence, multiplia tellement en chevance qu'il avoit à la fois huit ou dix nefs bien armées et avitaillées,
toutes à son commandement, et faisoit guerre mortelle à toutes gens, de quelque état qu'ils fussent. Si étoit moult
craint et crému sur la mer des marches de Flandre et de Hollande, et se disoit ami de Dieu et ennemi de tout le monde;
mais à la fin il en eut pour son salaire tel ou pareil qu'ont souvent gens de tel état qu'il étoit ; car, quand il fut au
plus haut de la roue de fortune, elle le mit tout au plus bas ; et fut noyé en mer par tempête et orage de temps.
CHAPITRE CCIV.
Comment messire Jean de Croy, bailli de Hainaut, atout plusieurs autres capitaines, assaillit les Anglois, dont il fut
vaincu.
En ce même temps, messire Jean de Croy, bailli de la comté de Hainaut, assembla des
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marches de Picardie et de Boulenois jusqu'au nombre de quinze cents combattants ou environ ; desquels éloient les principaux
le seigneur de Vaurin, messire Baudo de Noyelle, messire Louis de Thiembronne, Robert de Saveuse, Richard de Thiembronne,
le seigneur d'Eule, le bâtard de Roucy et moult d'autres experts et notables hommes de guerre, en intention de les mener
courre devant Calais et autres forteresses tenant le parti des Anglois. Et se lit cette assemblée en un village nommé
Le Wast, à deux lieues de Saint-Omer, au loin duquel lieu chevauchèrent de nuit vers le pays de leurs adversaires.
Lesquels adversaires et ennemis en icelle propre nuit étoient issus de leurs garnisons bien deux mille ou environ, pour
aller fourrager le pays de Boulenois et és marches de là environ. Et ne savoient point icelles deux compagnies la venue
l'une de l'autre, et ne venoient point tout un chemin pour eux entre-rencontrer. Mais le dessus dit messire Jean de Croy
et ceux de sa partie, approchant les marches des dessus dits Anglois, envoya aucuns experts hommes d'armes connoissant le
pays devant, pour enquerre et savoir des nouvelles; lesquels trouvèrent le train des Anglois, leurs adversaires et ennemis,
vers le pont de Milay, environ le point du jour ; et connurent et aperçurent bien qu'ils étoient moult grand nombre. Si le
firent savoir à leurs capitaines, et qu'ils tiroient vers la Fosse de Boulenois. Lesquels s'assemblèrent l'un avecque
l'autre pour avoir avis que sur ce leur étoit à faire. Si conclurent de les poursuivre et assaillir en tant qu'ils
fourrageraient les villages , si ainsi on les pouvoit surtrouver ; et sinon, ils les combattraient en quelque état qu'ils
fussent ratteints. Et fut lors ordonné que messire Jean de Croy dessus nommé, accompagné d'aucuns hommes d'armes experts,
mènerait la plus grand' partie des archers devant ; et tous les autres de la compagnie suivraient d'assez près, sous
l'étendard de messire Louis de Thiembronne. Si furent derechef mis coureurs devant, qui chevauchèrent très grand espace de
chemin, tant qu'ils virent les feux qu'avoient boutés en icelles villes et cités les dessus dits Anglois; lesquels étoient
déjà avertis que leurs adversaires et ennemis étoient sur les champs, par aucuns hommes du pays qu'ils avoient pris. Si
rassemblèrent leurs gens ensemble sur une petite montagne entre Gravelines et Champagne. Si pouvoit ètre environ dix heures du
jour ; mais la plus grand' compagnie des Anglois étoient plus bas, et ne les pouvoit-on bonnement voir.
Et adonc ceux de la partie de Bourgogne voyant leurs adversaires et ennemis devant leurs yeux, furent moult fort désirants
d'assembler à eux. Pour ce en y eut fort grand nombre de ceux de devant qui allèrent frapper dedans ; et en y eut
grandement de tués à leur nombre de soixante ou quatre vingts, et grand' partie des autres se mirent à la fuite ; mais les
assaillants n'étoient point ensemble et chevauchoient à loin train ; puis voyant au-dessous de la dite montagne une si
grosse compagnie de leurs adversaires et ennemis, qui se rallioient l'un avecque l'autre, ils doutèrent d'entrer entre eux
et attendirent leurs autres compagnons, enhardiant l'un contre l'autre. Et entre-temps les dits Anglois reprirent cœur,
voyant qu'iceux les assailloient doutablement ; si vinrent par bonne ordonnance eux courre sus et férir en iceux
vigoureusement. Et lors les dessus dits de la partie de Bourgogne, sans faire grand' résistance, se mirent en desroi et
retournèrent hâtivement en fuyant vers les forteresses de leur obéissance. Et les dessus dits Anglois, qui avoient été
comme demi-vaincus de première venue, coururent après à rène lâchée el les chassèrent jusqu'aux bailles d'Ardre et dedans
les barrières. Si en prirent et occirent bien cent ou plus, desquels en fut l'un Robert de Bournonville, surnommé le Roux ;
et des prisonniers furent Jean d'Estrèves, Bournonville, Galiot du Champ, Maide, Houllefort, Barnamont et plusieurs autres
notables hommes. Et mêmement iceux Anglois chassèrent si avant qu'ils tuèrent et occirent environ cinq ou six Bourguignons
au plus près des fossés de la dite ville d'Ardre, desquels en y avoit un de grand parage. En laquelle ville se retrahirent
le seigneur de Waurin, messire Baudo de Noyelle, messire Louis de Thiembronne, Robert de Saveuse, qui avoit été fait
chevalier nouvel à cette besogne, et aucuns autres, et mêmement le dessus dit messire Jean de Croy, qui avoit été blessé de
trait à l'assemblée, et y fut son cheval mort ; et retourna avecque lui le sei-
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gneur d'Eule en l'abbaye de Lille, moult troublé et ennuyé de cette male aventure ; et les autres s'en retournèrent en
plusieurs autres villes et forteresses du pays. En outre, après que les Anglois eurent ainsi rebouté leurs adversaires et
ennemis, ils se rassemblèrent et se boutèrent en Calais et autres lieux de leur obéissance, atout leurs prisonniers ;
au-devant desquels vint hors d'icelle ville de Calais le comte de Mortagne, qui leur fit moult joyeuse réception et blâma
moult fort ceux qui s'en étoient fuis et les avoient laissés en ce danger.
CHAPITRE CCV.
Comment les Flamands allèrent assiéger la ville de Calais, et comment ils en partirent.
A l'entrée du mois de juin, le duc Philippe de Bourgogne, qui par avant avoit fait toutes ses préparations, tant de gens
comme d'habillements de guerre, pour aller devers Calais, s'en alla atout simple état en la ville de Gand, afin de faire
partir les Gantois et autres d'icelui pays de Flandre. Lesquels en la présence du dit duc de Bourgogne firent leur montre,
le samedi après le jour du Sacrement, dedans icelle ville de Gand, au marché des Vendredis ; et étoient là venus pour aller
avecque eux ceux de leur châtellenie, c'est à savoir des villes de Grandmont, de Los, de Tenremonde, et démené avecque eux
ceux de cinq membres de la comté d'Altots, qui contiennent soixante-douze villes champêtres et seigneuries, de Boulers,
Potengien, Tournai, Gaures et de Rides, avecque ceux de Regnaits et des régales de Flandre, situées entre Grandmont et
Tournai. Auquel marché dessus dit ils furent en état depuis huit heures du matin jusqu'après nonne, qu'ils issirent de
leur ville, allant le chemin vers Calais ; et les envoya icelui duc de Bourgogne jusqu'aux champs, où il prit congé d'eux
et s'en alla pour mettre à chemin ceux de la ville de Bruges. Si faisoit ce jour moult grand chaud et ferveur de soleil,
de quoi il en mourut d'icelle ville de Gand deux capitaines, dont l'un éloit nommé Jean des Degrés, et fut doyen des
navieurs; et l'autre Gautier de Waser-Man, capitaine de Wesmonstre, avecque aucuns autres de petit état. Si étoient
capitaines-généraux d'icelle armée des Flamands, c'est à savoir des dits Gantois, le seigneur de Commines ; de Bruges, le
seigneur de Stienhuse ; de Courtrai, messire Girard de Châtelles; de ceux du Franc, le seigneur de Merqueue; et de ceux
d'Ypres, Jean de Commines. Et se logea l'ost, pour celle première nuit, à Devise et à Petangien, qui sont assis à lieue et
demie près de la sus dite ville de Gand, ou environ ; et le lendemain séjournèrent là pour attendre leurs habillements. Et
après le lundi ensuivant, se partirent de ce lieu et s'en allèrent par plusieurs journées loger dehors de la ville
d'Armentières, sur les prairies. Et se mirent avecque en chemin ceux de Courtrai et d'Audenarde, qui sont de leur
châtellenie ; et les conduisoit toujours comme chef et capitaine le seigneur d'Antoing, à cause de ce qu'il étoit vicomte
héritablement de la terre de Flandre.
Auquel lieu d'Armentières furent pris vingt un hommes et liés aux arbres devant la tente de Gand, pource qu'ils avoient
dérobé aucuns du pays. Et de là s'en allèrent les dits Gantois parmi le pays de Laleu à Hazebrouck, où ils abattirent le
moulin Chéry de Hazebrouck, lequel, comme ils disoient, avoit mal conduit les Flamands devant Gravelines, qui naguère
avoient été déconfits par les Anglois ; mais ils s'en excusoit en disant qu'ils ne l'avoient point voulu croire ni user de
son conseil. Et de là s'en allèrent devers , auquel lieu vint devers eux le dit duc de Bourgogne, leur prince et
seigneur, et le comte de Richemont, connétable de France, qui étoit venu en ces parties devers le dit duc de Bourgogne ;
et allèrent visiter les Gantois de lieu à autre, et prirent la collation de vin en la tente de Gand ; et de là passèrent
parmi Bourbourg, et allèrent loger emprès Gravelines et abattirent le moulin Georges de Wez, pour le pareil cas qu'ils
avoient fait celui du dit Chéry de Hazebrouck. Auquel lieu vinrent ceux de Bruges, d'Ypres et du Franc, et d'autres
lieux de celui pays de Flandre ; et s'assemblèrent tous auprès l'un de l'autre et mirent leurs tentes par belle ordonnance,
selon les villes et états dont ils étoient. Si étoit une moult grand' beauté à les voir car à les voir de loin, ce
sembloient bonnes grands villes. Et quant est aux chariots et aux charrettes, il y en avoit par milliers qui portoient les
dites tentes et plusieurs autres habillements de guerre; et sur chacun chariot avoit un coq
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pour chanter les heures de la nuit et du jour ; et si avoit grand nombre de ribaudequins portant canons, couleuvrines,
arbalètes et plusieurs autres gros engins ; et si étoient iceux Flamands ou la plus grand' partie armés de plein harnois,
selon la guise du pays. Et à leur département de là, se mirent tous ensemble en armes et firent montre en la présence du
dit duc de Bourgogne et du dessus dit connétable de France, qui les regarda moult volontiers.
Et ce même jour se férit en l'ost de Bruges un loup, pour lequel il y eut très grand effroi, et fut crié à l'arme partout.
Par quoi tous les osts se mirent aux champs et pouvoient bien être trente mille ou au-dessus de têtes armées, et adonc
passèrent la rivière de Gravelines ; et se logèrent devers Tournehem. Si fit en icelui jour un terrible temps de pluie et
de vent, pour quoi ils ne purent tendre leurs tentes et les convint gésir sur les prés. El là furent pris trois Picards
que les Gantois firent pendre, pource qu'ils avoient dérobé les marchands de vivres en l'hôtel. Durant lequel temps, le
comte d'Etampes et tous les gens d'armes du dessus dit duc de Bourgogne qui étoient ordonnés pour ce même voyage se
tirèrent vers les parties où étoient les dessus dits Flamands. Si allèrent par un vendredi tous les osts de Flandre et
aussi les gens d'armes loger auprès du dessus dit châtel d'Oye, que tenoient les Anglois. Lequel châtel et forteresse
d'Oye fut rendu et délivré en assez bref terme, et se mirent en la volonté du dessus dit duc de Bourgogne et de ceux de la
ville de Gand. Laquelle volonté fut telle qu'on en pendit devant le dit châtel, le même jour, vingt-neuf; et depuis en
furent pendus encore vingt-cinq ; et si en y eut trois ou quatre qui furent répités à la requête du dit duc Philippe de
Bourgogne ; après laquelle reddition icelui châtel fut ars et brûlé, et du tout démoli.
Et quant au regard des Picards et Bourguignons là étant, nonobstant qu'ils soient assez âpres au pillage, néanmoins ils
n'y pouvoient avoir lieu pour rien conquerre ni avoir, car Hennequin, Winequin, Piètre, Liévin et autres ne l'eussent
jamais souffert ni laissé passer. Et, qui pis est, quand ils s'entreboutoient avec eux et prenoient aucune chose sur leurs
adversaires et ennemis, il advenoit souvent qu'avec ce leur étoit ôté ; et s'ils en parloient aucunement, ils avoient
souvent de durs horions. Si les convenoit taire ce souffrir pour la grand' puissance qu'avoient les dessus dits Flamands,
mais ce n'étoit point patiemment; et sembloit à iceux des communes de Flandre que de toutes besognes on ne pourrait venir
à bon chef, si par eux n'étoit, et mêmement étoient si présomptueux, la plus grand' partie , qu'ils avoient grand doute
que ceux de la ville de Calais abandonnassent leur ville et qu'ils s'enfuissent en Angleterre ; et disoient aucuns de leurs
gens aux Picards, auxquels ils devisoient souventes fois: « Nous savons bien, puisque les » Anglois sauront que messeigneurs
de Gand sont armés et à puissance pour venir contre eux, qu'ils ne les attendront mie ; et a été grand'négligence que le
navire qui doit venir par mer n'a été assis avant qu'on les approchât, afin qu'ils ne s'en pussent fuir.» Toutefois ils
ne dévoient point de ce être en souci, car les dessus dits Anglois avoient bonne volonté d'eux défendre contre eux. Et pour
vérité, le roi Henri d'Angleterre, ceux de son conseil et tous les trois états d'icelui royaume d'Angleterre eussent avant
laissé perdre toute la conquête qu'ils avoient faite au royaume de France depuis trente ans par avant, que la dite ville
de Calais, comme on fut depuis véritablement acertené et informé; et aussi ils en montrèrent assez bien les manières et le
semblant bref après ensuivant. En après, le dit châtel d'Oye ainsi démoli, comme dit est, tout l'ost et les gens d'armes
se délogèrent et allèrent loger entre le châtel de Marcq et icelle dite ville de Calais.
Auquel jour, le dessus dit duc Philippe de Bourgogne avecque ses gens d'armes s'en allèrent courre devant la ville de
Calais, et issirent et saillirent les Anglois hors contre eux de pied et de cheval, et y eut fort grand' escarmouche; mais
enfin les dits Anglois furent reboutés ; et gagnèrent sur eux les Picards et Flamands vaches, chevaux, brebis, moutons et
plusieurs autres choses de la ville. Si se tint le dit duc de Bourgogne avec ses gens grand' espace de temps devant la dite
ville, tant que les osts fussent logés ; et puis retourna le dit duc en son logis vers le châtel de Marcq. Devant laquelle
forteresse allèrent les Picards
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dessus dits livrer une moult grand' escarmouche. Et fut depuis le boulevert conquis ; dont ceux de dedans se commencèrent
moult fort à ébahir de ce, et boutèrent et mirent la bannière de monseigneur saint Georges dehors vers la dessus dite ville
de Calais ; et si commencèrent à faire sonner leurs campanes et cloches, et firent léans moult grands et horribles cris. Et
pour ce, doutant qu'ils ne s'enfuissent par nuit, on mit grand guet tout à l'environ ; et le lendemain furent assis
plusieurs gros engins contre la muraille, desquels ils furent fort rompus. Si furent un jour assaillis des Picards et
Flamands, mais ils se défendirent moult vaillamment de pierres en jetant à val et de trait, tant qu'ils blessèrent et
navrèrent plusieurs de ceux de dehors et les firent retraire. Puis requirent ceux de dedans d'avoir trèves pour parlementer,
lesquelles leur furent accordées. Et lors s'offrirent d'eux mettre en la volonté du duc de Bourgogne, moyennant qu'ils ne
fussent point pendus, mais à chacun on ferait son plaisir en autre manière; à quoi ils furent reçus; et fut défendu, sur
peine de la hart, que nul n'entrât au châlel s'il n'y étoit commis.
Et adonc furent ceux de dedans amenés par les quatre membres de Flandre en la tente de Gand, et fut ordonné qu'ils feraient
charges pour ravoir aucuns Flamands qui étoient prisonniers dedans la dite ville de Calais. Si furent amenés hors de la
dite forteresse cent et quatre Anglois, lesquels furent menés en prison en la ville de Gand par le bailli du dit lieu. Et
lors grand'partie du commun allèrent dedans le dit châtel et prirent ce qu'ils purent trouver. Mais aucuns de ceux de la
bourgeoisie de Gand se mirent à l'entrée d'icelui châlel, et tollurent et ôtèrent aux dessus dits, quand ils en issirent,
tout ce qu'ils avoient pris, et le mirent tout en un mont ; et disoient que ce faisoient-ils par l'ordonnance des échevins
de la ville de Calais ; mais quand la nuit fut venue ils le chargèrent tout sur les chars et charrettes et le menèrent où
bon leur sembla. Si en furent de ce accusés devers les dessus dits échevins, dont ils furent bannis cinquante ans hors du
pays et la comté de Flandre.
Pour lequel bannissement s'émut grand murmure entre eux, et furent en grand péril d'avoir l'un contre l'autre
grand' dissension. Et le lendemain ensuivant, furent décapités sept hommes qui avoient été pris avecque les dessus dits
Anglois , dont les six étoient Flamands, et le septième Hollandois ; et après ce fut la forteresse démolie et du tout
abattue. Si se partirent de là et s'en allèrent les Flamands au propre lieu où on dit que Jacques d'Artevelles avoit jadis
mis ses tentes, quand Calais fut conquis de par le roi Henri d'Angleterre, après la grand' bataille de Crécy : et le duc de
Bourgogne atout sa chevalerie et ses gens d'armes se logèrent assez près, en tirant vers Calais. Et y eut ce jour très
grand assaut contre ceux de dedans ; et en y eut de morts et de navrés de chacune partie, entre lesquels La Hire fut navré
à la jambe d'un trait, lequel étoit venu voir le dit duc de Bourgogne. Si furent assis plusieurs engins, pour jeter dedans
icelle ville de Calais ; et pareillement, ceux de dedans en affûtèrent plusieurs contre ceux de l'ost, dont leurs
adversaires furent moult fort travaillés, et convint qu'ils se trahissent plus arrière. Si se logea le dit duc de Bourgogne
plus près des dunes, contre les montagnes de sablon ; et ainsi qu'icelui duc chevauchoit à petite compagnie pour aviser
la ville, vint une grosse pierre de canon au plus près de lui, laquelle occit un trompette et trois chevaux, dont celui du
seigneur de Saveuse étoit l'un. En outre, les dits Anglois sailloient très souvent dehors, de pied et de cheval; et y eut
moult de fois de très dures escarmouches entre les deux parties, lesquelles ne se pourraient raconter chacune à part elle,
ni nommer ceux qui y besognèrent le pis ou le mieux ; mais entre les autres, j'ai ouï relater à aucuns notables et dignes
de foi que les seigneurs de Haubourdin, de Créquy et de Waurin furent bien vus et loués en aucunes d'icelles escarmouches , et moult d'autres notables et vaillants hommes des pays de Picardie. Toutefois les dessus dits Anglois emportoient aucunes fois la renommée pour la journée, et d'autre part les Picards les reboutoient trop souvent jusque dedans leurs barrières assez confusiblement.
Et quant est aux Flamands, ils étoient assez peu crémus d'iceux Anglois ; et leur sembloit que s'ils n'eussent eu que trois
Famands contre l'un d'eux qu'ils en fussent venus bien à
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chef. Si étoient avecque le duc Philippe de Bourgogne en cet exercite son neveu de Clèves, le comte d'Etampes, les
seigneurs d'Anthoing, qui gouvernoit lors les Flamands, le seigneur de Croy, les seigneurs de Créqui, de Fosseux, de
Waurin, de Saveuse, de Haubourdin, de Humières , d'Inchy , de Brimeu , de Launoy, de Huchin, et les frères de Hastine et
de Fremessen avecque plusieurs autres seigneurs gentilshommes, tant de son hôtel et famille comme de ses pays de Bourgogne,
de Flandre, de Brabant, de Hainaut, d'Artois et des autres lieux. Toutefois le dessus dit duc de Bourgogne n'a voit point
assemblé la moitié de sa puissance, quant au regard de ses gens d'armes des pays de Picardie. Et en avoit été renvoyé
grand' partie dès les montres, dont moult de gens, qui bien aimoient son honneur, étoient moult fort émerveillés; et leur
sembloit qu'à tous besoins il se fût mieux aidé d'eux que du double de ses communes. En outre , messire Jean de Croy, qui
conduisoit la plus grand' partie des gens de guerre de Boulenois, avec aucuns autres qu'il avoit amenés, fut envoyé loger
à l'autre côté , plus près de Calais, en tirant devers le pont d'Amillan ; devant lequel logis y eut grand parlement entre
ses gens et ceux de la ville. Mais assez bref ensuivant fut remandé par le dit duc de Bourgogne et envoyé devant Guines, où
il se logea, lui et ses gens, assez près des portes et murailles, devant lesquelles furent dressés et assis plusieurs gros
engins qui fort les endommagèrent. Avecque lui étoient le Galois de Renty, chevalier, Robert de Saveuse et plusieurs
notables hommes, qui en grand' diligence approchèrent de leurs adversaires et ennemis et les mirent en moult grand' doute
et nécessité d'être pris de force, et tant qu'ils abandonnèrent leur ville el se retrahirent dedans le châtel, où ils
furent derechef très fort approchés, assaillis et combattus des dits assiégeants. Et par avant leur venue au dit lieu de
Guines, s'étoit rendu au dit messire Jean de Croy la forteresse de Vauclinguen ; et lui avoient délivré les Anglois,
moyennant qu'ils s'en iraient, saufs leurs vies et aucune petite partie de leurs biens. Et pareillement rendirent les dits
Anglois le châtel de Sangatte à messire Robert de Saveuse, lequel alla devant, entre-temps qu'il étoit au siége de Guines,
lequel châtel il garnit de ses gens. Durant lequel temps le dessus dit duc de Bourgogne étant logé devant la forte ville de
Calais, comme dit est, avoit grand' merveille de son navire qui devoit venir par mer et demeuroit tant; et d'autre part,
les Flamands en étoient très mal contents, et murmuroient très fort à l'encontre du conseil d'icelui duc de Bourgogne et de
ceux qui avoient la charge de les conduire et mener, c'est à savoir messire Jean de Hornes, sénéchal de Brabant, et le
commandeur de la Morée. Mais icelui duc les rapaisoit et contentoit par douces paroles, disant qu'ils viendroient bien
bref, comme ils lui avoient fait savoir par leurs lettres ; et n'avoient point eu vent propice jusqu'à présent, par quoi
ils eussent pu venir plus tôt. Si venoient chacun jour des navires d'Angleterre dedans Calais, à la pleine vue de leurs
adversaires, une fois plus, l'autre fois moins, qui leur amenoient et apportoient des vivres, nouvelles gens, habillements
de guerre et autres choses nécessaires. Aussi n'étoient-ils pas si près approchés de leurs ennemis que chacun jour ne
missent grand' partie de leur bétail dehors leur ville en pâture, qui faisoit moult grand mal à voir à ceux de dehors; et
en y avoit souvent de grandes escarmouches, à cause et à l'occasion d'icelui bétail, pour cuider en gagner. Et mêmement un
certain jour les seigneurs et bourgeois de Gand , qui plusieurs fois en avoient vu et véoient souvent ramener par les
Picards, s'aperçurent en eux-mêmes qu'ils étoient grands et forts et bien armés, et qu'ils pouvoient aussi bien conquerre
et avoir leur part du dit bétail. Si se mirent à chemin bien deux cents, et allèrent, le plus couvertement qu'ils purent,
ès marais auprès d'icelle ville, pour prendre et amener la proie ; mais ils furent tantôt aperçus des Anglois, qui ne
furent mie patients quand ils virent les dessus dits venir si près d'eux pour leur ôter ce dont ils devoient vivre, et
les reconnurent bien à leurs habillements. Si se férirent en eux vigoureusement et en occirent bien vingt-deux, et en
prirent trente-trois qu'ils emmenèrent prisonniers; et les autres retournèrent à grand cours en leurs logis, disant
qu'ils y avoient grand' perte et faisant grand effroi ; et leur sembloit qu'ils étoient bien échappés.
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Et y avoit souvent en l'ost d'iceux Flamands de grands alarmes, car pour peu de chose ils s'émouvoient tous et se mettoient
en armes, dont le dit duc de Bourgogne , leur seigneur, étoit déplaisant; mais il n'en pouvoit avoir autre chose, et
convenoit que toutes besognes se conduisissent en la plus grand' partie à leur plaisir. Auquel temps vint devers le dit
duc un héraut d'Angleterre, nommé Kembrouck, lequel le salua moult révéremment, et lui dit que Humfroy, duc de Glocestre,
son seigneur et maître, lui faisoit savoir par lui qu'au plaisir de Dieu le combaltroit avec toute sa puissance bien bref,
s'il le vouloit attendre, et s'il se partoit de ce lieu, il le querroit en aucuns de ses pays ; mais il ne lui faisoit
point savoir le jour, pour tant que la mer et le vent ne sont point stables , et ne savoit s'il pourroit passer à son
plaisir. A quoi fut répondu par le dit duc de Bourgogne qu'il ne seroit point besoin qu'il le quit en nul de ses pays, et
qu'il le trouveroit là, si Dieu ne lui envoyoit aucune fortune. Après lesquelles paroles, le dit héraut fut grandement
festoyé; et lui fut donné aucuns dons, atout lesquels il s'en retourna en la ville de Calais. Et le lendemain , le dit duc
de Bourgogne s'en alla en la tente de Gand, où il fil assembler tous capitaines et nobles chevaliers des Flamands ; et là
fit remontrer par maître Gilles De La Voustine, son conseiller en la chambre de la dite ville de Gand, comment le duc de
Glocestre lui avoit mandé par un sien héraut qu'il le combattroit , et les réponses qu'il lui avoit données. Par quoi il
leur requéroit très instamment , comme à ses humbles amis, qu'ils voulsissent demeurer avec lui et lui aider à garder son
honneur. Laquelle requête ils lui accordèrent et promirent parfournir libéralement, et pareillement firent les Brugelins et
autres membres de Flandre.
Adonc fut advisé par le dit duc de Bourgogne et ceux de son conseil qu'on feroit une bastille sur une montagne qui étoit
assez près de la ville de Calais, par laquelle on verroit le gouvernement de leurs ennemis. Laquelle bastille fut commencée
de chêne et autres bois, et y furent assis aucuns canons pour jeter dedans la ville, et y furent mis et ordonnés hommes de
bonne garde pour faire le guet. De laquelle bastille les dits Anglois eurent déplaisance , doutant que par icelle leurs
saillies ne fussent rompues et empêchées. Dont, pour y obvier prestement, vinrent en grand nombre et l'assaillirent moult
âprement ; mais elle leur fut bien gardée et puissamment défendue des Flamands qui la gardoient, par le moyen et conseil
d'aucuns nobles hommes de guerre qui s'étoient retraits, desquels étoit l'un Le Bon de Saveuse. El pour tant qu'en faisant
le dit assaut, ceux de l'ost, de ce avertis, allèrent au secours en grand nombre , se retrahirent les Anglois en leur
ville, sans rien gagner, et en y eut plusieurs de navrés. Et le lendemain y eut grand paletis, et plusieurs journées
ensuivant, dont à l'une desquelles fut pris un sot-sage nommé le seigneur de Plateaux, lequel, nonobstant sa folie, étoit
assez roide et vigoureux homme d'armes.
En après , le jeudi ensuivant, qui fut le vingt-cinquième jour de juillet, on commença à voir venir le navire de devers
orient, lequel on avoit tant désiré et de long temps attendu. Si monta le duc de Bourgogne à cheval, accompagné d'aucuns
seigneurs et autres gens de guerre, et alla sur la rive de la mer. Et lors s'avança une barge le plus près qu'elle put; de
laquelle saillit hors un homme, qui en montant vint devers le dit duc, et lui conta que c'étoit son navire qui venoit. Pour
lesquelles nouvelles on fil grand' joie par tout l'ost, et coururent plusieurs sur les dunes de la mer pour le voir; mais
les capitaines en firent retraire ce qu'ils purent. Et le soir ensuivant, à la venue de la mer, vinrent aucuns du dit
navire qui étoient à ce commis, et effondrèrent au havre de Calais quatre nefs qui étoient pleines de pierres, bien
maçonnées et ancrées de plomb, afin de rompre, démolir et désoler le passage, que ceux d'Angleterre n'y pussent plus venir
ni aller atout leur navire ; et alors ceux de dedans jetoient continuellement de leurs engins vers le port pour adommager
les vaisseaux, et en effondrèrent un. Et encore, le lendemain, par les dessus dits furent effondrés deux vaisseaux en
icelui havre, qui étoient maçonnés comme les autres. Mais à bref dire, tous les dessus dits vaisseaux qui: furent mis par
le dit duc de Bourgogne furent tellement assis que, quand la mer fut retraite,
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ils demeurèrent en la plus grand' partie sur le sablon à petite profondeur d'eau. Et pour tant les Anglois de la dite
ville, tant femmes comme hommes, y coururent à grand effort. Si les dépiécèrent et ardirent à grand exploit, par telle
manière qu'il en demeura assez petit, et firent charrier et emmener grand' partie du bois en la dite ville , nonobstant
qu'on tiroit âprement de canons après eux, dont les dessus dit duc et les siens eurent grand' merveille. Et ceux qui les
avoient amenés, c'est à savoir messire Jean de Hornes, le commandeur de la Morée et plusieurs autres seigneurs de la
Hollande se départirent le lendemain, si loin qu'on perdit la vue d'eux ; et se retrahirent vers la marche dont ils étoient
venus; car bonnement ne pouvoient demeurer sur les marches d'entre Calais et d'Angleterre, pource que souvent la mer est
très périlleuse et plus qu'en autres lieux, comme disent les mariniers; et avecque ce ils étoient assez avertis que l'armée
d'Angleterre étoit prête pour passer, contre laquelle ils n'avoient point puissance de résister. Pour lequel département
des dessus dits, les Flamands furent fort troublés. Si commencèrent de là en avant à murmurer l'un contre l'autre, en
disant qu'ils étoient trahis par les gouverneurs de leur prince, et qu'on leur avoit promis à leur département de Flandre
que la ville de Calais seroit aussi tôt assiégée par mer que par terre. Si avoient leurs gouverneurs et capitaines assez
à faire à les rapaiser et entretenir.
Et entre-temps, le duc de Bourgogne, qui par tous ses pays avoit mandé ses nobles gens de guerre pour en être accompagné à
la descendue des Anglois, laquelle il attendoit chacun jour, fit adviser par aucuns de ses chevaliers féables et à ce
connoissants un champ et la place plus avantageuse que faire se pouvoit, pour lui et les siens mettre en bataille contre
ses adversaires quand ils viendroient. Et afin d'avoir avis sur toutes ses besognes et affaires, le vingt-septième jour de
juillet assembla grand' partie de ceux de son conseil, avec eux plusieurs de ses capitaines et gouverneurs des communes,
auxquels il remontra et fit remontrer l'intention et volonté qu'il avoit contre ses adversaires, de laquelle les dessus
dits étoient assez contents ; mais le propos des dites communautés fut assez tôt mué, par ce en partie qu'en ce même jour
iceux de la ville de Calais saillirent hors de leur ville en moult grand nombre, tant de pied comme de cheval, et vinrent
soudainement, c'est à savoir ceux de pied, à la bastille dont dessus est faite mention , et ceux de cheval allèrent courre
entre l'ost et la dite bastille, pour empêcher qu'icelle ne pût si hâtivement avoir secours ni aide.
En laquelle bastille étoient de trois à quatre cents Flamands. Et adonc fut crié à l'arme par tout l'ost, et y eut moult
grand effroi. Si saillirent gens de toutes parts en moult grand' multitude et abondance pour aller au secours des dessus
dits, et mêmement le dit duc de Bourgogne y alla en sa propre personne tout de pied. Mais les dessus dits Anglois
assaillirent très fièrement et âprement iceux Flamands de la bastille; et pour tant qu'ils les trouvèrent de méchante et
pauvre défense, icelle bastille ne leur dura guère, mais fut brièvement conquise et gagnée avant qu'on y pût venir. Si y
furent tués environ huit vingts Flamands et une grand' partie des autres pris et menés prisonniers, desquels, quand ils
furent auprès des portes de Calais, ils en mirent à mort la moitié largement, pource que les dits Anglois surent que les
Flamands avoient mis à mort un de leurs chevaliers qui avoit été pris par les Picards qui étoient de cheval à cette
escarmouche ; pour laquelle prise et occision, le duc eut moult grand' déplaisance. Et d'autre part, les Flamands qui
s'étoient mis en la bastille se retrahirent moult troublés et ennuyeux, pour leurs gens qu'ils virent ainsi être occis et
tués. Et s'assemblèrent en ce propre jour divers troupeaux , disant l'un à l'autre qu'ils étoient trahis, et que rien ne
leur éloit entretenu de chose qu'on leur eût promis, et aussi qu'ils perdoient chacun jour leurs gens, et n'y mettoient les
nobles nulle provision ; et finablement ils langagèrent tant ensemble qu'enfin, nonobstant les remontrances qui leur furent
faites, ils conclurent d'eux déloger et retourner en leur pays. Et avecque ce en y avoit aucuns qui étoient en
grand' volonté d'occire aucuns des gouverneurs de leur dit duc, lequel, quand il fut averti qu'ils avoient pourparlé les
choses dessus dites, fut moult troublé et déplaisant,
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considérant la charge et déshonneur qu'il pouvoit avoir s'il lui convenoit partir de là, attendu le mandement de Humfroy,
duc de Glocestre, son adversaire, qui lui avoit été noncé par le héraut anglois, et la réponse que le dit duc lui avoit
baillée. Si alla en la tète de Gand, où il fit assembler grand nombre des dessus dits, auxquels il requit le plus qu'il put
qu'ils voulsissent demeurer avecque lui et attendre la venue des Anglois, de laquelle ils étoient assez acertenés qu'ils
arriveroient dedans brefs jours ensuivant, disant outre que, s'ils se partoient sans attendre ses ennemis et les combattre,
ils feroient à lui et à eux le plus grand déshonneur qui oncques fût fait à prince. Ainsi alors et plusieurs fois furent
par le dit duc et son conseil faites plusieurs remontrances raisonnables à icelles communes; mais finablement ce fut peine
perdue, car ils étoient du tout affermés et obstinés l'un avecque l'autre d'eux partir.
Et pour ce, à toutes celles remontrances faisoient comme la sourde oreille, sinon aucuns des principaux, qui répondoient
courtoisement en eux excusant. Pour lesquels ceux qui étoient dessous eux au besoin eussent fait assez petit. Et adoncque
le dessus dit duc de Bourgogne, voyant le danger où il s'éloit bouté sous l'ombre et instance des dessus dites communes ,
considérant aussi le blâme qu'il lui convenoit recevoir à cause de son parlement, il ne fait point à demander s'il avoit
au cœur grand' déplaisance , car jusqu'à ce toutes ses entreprises lui étoient venues assez à son plaisir, et icelle, qui
étoit la plus grande de toutes les autres de son régne, lui venoit au contraire. Toutefois lui convint souffrir la rudesse
et grand'sottie de ses Flamands, car il n'y pouvoit pourvoir, là soit ce que par plusieurs fois se mit en peine d'eux
retenir aucun peu de jours. Néanmoins, voyant qu'il perdroit son temps de les plus avant requerre, il se conclut, avec les
seigneurs de son conseil, de déloger avecque eux, et leur fit dire que, puisqu'ils ne vouloient plus demeurer, ils
l'attendissent jusqu'au lendemain, et qu'ils se partissent par bonne ordonnance, atout leurs habillements qu'ils
chargeroient; et afin que leurs adversaires ne leur portassent nul dommage, il les reconduiroit atout ses gens jusqu'outre
l'eau de Gravelines. A quoi les aucuns répondirent qu'ainsi le feroient-ils ; et la plus grand' partie disoient que ils
étoient assez puissants pour eux en retourner sans avoir conduite. Et en y avoit grand' partie qui, à toutes fins,
vouloient aller au logis du duc de Bourgogne tuer le seigneur de Croy, messire Baudo de Noyelle, Jean de Brimeu, pour lors
bailli d'Amiens, et autres de son conseil, disants que par leurs exhortations avoit été ce voyage entrepris, lequel n'étoit
point bien possible de l'achever, comme ils disoient, vu le gouvernement et les manières qu'on y tenoit. Lesquels trois
seigneurs dessus nommés, sachant la mutation d'iceux Flamands ainsi être faite contre eux, se départirent de l'ost à
privée mesgnie, et se retrahirent au logis de messire Jean de Croy, devant Guines. Et iceux Flamands, entre le samedi et
le dimanche, commencèrent à détendre par leur ost tentes et pavillons, et charger leurs bagues pour eux en aller ; et
étoient les Gantois les principaux faisant cette mutation. A l'exemple desquels tous les gens de guerre et marchands là
étant troussèrent tout ce qu'ils pouvoient avoir de leurs dites bagues; mais pour le soudain parlement y demeura des vins,
vivres et autres biens très largement, et convint effondrer plusieurs queues de vins et autres breuvages, à la perte et
dommage des dits marchands. Et aussi furent laissés plusieurs gros engins et autres habillements de guerre qui étoient au
dit duc de Bourgogne, pource qu'on ne pouvoit trouver de chars ni de chevaux pour les emmener ; et pareillement y demeura
grand' quantité des biens et habillements que y avoient amenés les Flamands. Si se commencèrent à déloger en faisant très
grand bruit, criants tous en une voix en très grand multitude: « Gauwe! gauwel » nous sommes tous trahis!» qui vaut autant
à dire: «Allons, allons en nos pays!» Auquel partement boutèrent les feux en leurs logis, et commencèrent à tirer vers
Gravelines sans tenir ordonnance. Et lors le dit duc de Bourgogne, qui avoit au cœur très grand' tristesse, atout ses
nobles hommes et gens de guerre se mit en bataille, par bonne ordonnance, vers la dite ville, jusqu'à tant qu'iceux
Flamands fussent éloignés , pour les garder, afin que les Anglois de Calais ne saillissent dehors pour férir sur eux.
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Et après, par bonne ordonnance, mettant ses meilleurs gens d'armes derrière par manière d'arrière-garde, suivit son ost,
qui étoit déjà vers le châtel de Mare. Si se mirent les dits Flamands illec un petit en ordonnance, et s'en allèrent loger
emprès la dite ville de Gravelines, au même lieu où ils avoient logé au passer. Toutefois, les Brugelins étoient très mal
contents de leur honteux département; et pour tant qu'à ce jour n'avoient point leurs chevaux pour ramener leurs gros
engins qu'ils avoient là amenés, en chargeant aucuns sur leurs chars, et à force et puissance de gens, les ramenèrent
jusqu'au dit lieu de Gravelines, au même lieu où ils avoient logé au passer. Auquel jour le dit duc de Bourgogne manda à
messire Jean de Croy, qui étoit devant la dite ville de Guines, qu'il se délogeât atout ses gens d'armes, et s'en vînt
devers lui sans délai. Lequel, oyant le mandement de son seigneur, et sachant que l'ost étoit délogé, fit apprêter ses
gens, et se tira en bonne ordonnance envers son dit seigneur le duc ; mais aucuns gros engins demeurèrent là, parce qu'on
ne les pouvoit charger sur les chars, avec grand' quantité d'autres biens. Pour lequel département ceux du dit châtel de
Guines eurent moult grand' joie et liesse, car ils étoient fort contraints et en grand' nécessité comme pour eux rendre; et
dedans brefs jours ensuivant saillirent dehors, en faisant très grand' huée après leurs ennemis. Et pareillement, quand
ceux de Calais virent et surent le partement de l'ost, ils en furent moult joyeux; si issirent hors en grand nombre pour
recueillir les biens qui étoient demeurés, desquels y avoit très largement.
Et lors envoyèrent plusieurs messages en Angleterre noncer cette aventure; et le dit duc de Bourgogne, qui étoit logé à
Gravelines, tout déplaisant et ennuyeux, comme dit est, prit conseil avec les seigneurs et nobles hommes qui là s'étoient
retraits avec lui, sur ses affaires, en lui complaignant de la honte que lui faisoient ses communes de Flandre. Lesquels
les aucuns lui remontrèrent amiablement qu'il prit en gré et patiemment cette aventure, el que c'étoit des fortunes du
monde; et puis lui dirent et conseillèrent qu'il se pourvût au surplus par la meilleure forme et manière que faire se
pourroit, c'est à savoir qu'il fournit ses villes et forteresses sur les frontières de gens d'armes, de vivres et
habillements de guerre, pour résister contre ses adversaires, qu'on attendoit chaque jour, lesquels, comme on pouvoit
supposer, s'efforceroient de grever lui et les siens par diverses manières, attendu les entreprises qui avoient été faites
contre eux; et lui, de sa personne, se retrahit plus avant en l'une de ses villes, et mandât par tous ses pays gens de
guerre pour aider et secourir ceux qui en auroient besoin. Après laquelle conclusion, icelui duc requit à plusieurs
seigneurs et nobles hommes là étants, moult instamment, qu'ils voulsissent demeurer en icelle ville de Gravelines, laquelle
pouvoit être moult préjudiciable à tout le pays, si elle n'étoit bien gardée; et leur promettant sur son honneur que, s'ils
avoient aucun besoin et ils fussent assiégés, il les secourroit sans point de faute, quelque péril ou dommage qu'il y dût
avoir, lesquels lui accordèrent ; et demeurèrent là le seigneur de Créquy, le seigneur de Saveuse, sire Simon de Lalain,
Sanse, son frère, Philebert de Vaudray et plusieurs autres notables, vaillants et experts hommes de guerre. Et d'autre part,
furent envoyés à Ardre messire Louis de Thiembronne et Guichard, son frère, et aucuns autres de devers la marche de
Boulenois; et ès autres lieux furent mis gens d'armes, selon les états des villes et forteresses, pour la garde d'icelles.
Si étoient là présents plusieurs seigneurs de son conseil, par le moyen desquels icelle entreprise avoit été mise sus, qui
de cette male aventure étoient déplaisants. Si ne le pouvoient avoir autre, et leur convenoit souffrir et ouïr les paroles
du monde. En outre, après ce que le dit duc eut, comme dit est, tenu son conseil avec ses gens, et conclu les choses dessus
dites, il fit requerra aux Flamands qu'ils demeurassent encore avec lui un peu de jours, pour attendre la venue de leurs
ennemis. Laquelle requête ne voulurent accorder, pour les périls dont ils se doutoient; et allèrent devers lui plusieurs
des capitaines, le mardi dernier jour de juillet, requérir au dit duc qu'il leur donnât congé de retourner en leurs propres
lieux.
Lequel, voyant qu'il ne les pouvoit retenir en nulle manière du monde, leur accorda et
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leur donna congé d'eux en aller ; car il apercevoit bien qu'ils n'y feroient jà beau fait, puisqu'ils n'avoient ce courage.
Si se partirent et s'en allèrent par plusieurs journées jusqu'en leurs villes; mais ceux de Gand ne vouloient point rentrer
dedans leur ville, s'ils n'avoient chacun une robe aux dépens de leur dite ville, ainsi qu'anciennement étoit accoutumé de
leur bailler quand ils revenoient d'aucune armée. Laquelle chose on leur refusa , pource qu'il sembloit aux gouverneurs
d'icelle ville de Gand qu'ils s'étoient très mal portés. Et quand ils eurent réponse, ils rentrèrent dedans tout murmurant
et mal contents des dessus dits seigneurs et gouverneurs. Si avoient été au départir de devant Calais et au déloger mises
en feu et désolées les forteresses de Balingehen et de Sangatte. En après, le duc de Bourgogne, partant de Gravelines, s'en
alla à Lille, et fit publier par tous ses pays que toutes gens de guerre qui étoient accoutumés d'eux armer fussent prêts
pour aller devers lui, pour aller où il les envoieroit, pour résister a l’encontre de l'armée des Anglois, ses adversaires,
laquelle, comme dit est, on savoit assez qu'elle étoit prête pour venir descendre au havre de Calais. Et mêmement, après ce
que le dit duc de Bourgogne et son ost furent délogés de devant Calais, arriva le dit duc de Glocestre avec son armée
d'Anglois.
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CHAPITRE CCVII.
Comment Humfroy, duc de Glocestre, arriva à Calais atout grand nombre de gens d'armes, et entra en Flandre et en Artois, et
es autres pays du duc de Bourgogne, où il fit moult de dommages.
Après que le duc de Bourgogne et les Flamands se furent délogés de devant Calais, si comme dit est ailleurs, arriva dedans
brefs jours après ensuivant le duc de Glocestre au havre de la dessus dite ville de Calais, atout dix mille combattants
anglois ou environ; et venoient en intention de combattre ledit duc de Bourgogne et toute sa puissance, s'ils l'eussent
trouvé. El pour tant qu'il étoit parti, se mit à chemin pour aller vers Gravelines, et de là se tira en Flandre et passa
par plusieurs gros villages, comme Poperinghe, Bailleul et plusieurs autres; lesquels il désola par feu, et plusieurs
faubourgs de villes, dont partout ne trouvoit guère de défense; mais tout le monde s'enfuyoit devant lui, et nuls Flamands
ou peu ne l'osoient attendre. Et envoya grand' proie de bétail et d'autres biens; si y firent de moult grands dommages sans
perdre de leurs gens, ou bien peu ; mais ils endurèrent grand' faim par faute de pain. Si passèrent le Neuf-Châtel, et
ardirent Rimesture et Valon-Chapelle, et puis entrèrent en Artois, et allèrent à Arques et Blandesques, la où ils firent
des escarmouches; mais ils boutèrent les feux par tous les lieux où ils purent advenir. Et passèrent par emprès la justice
de Saint-Omer, et partout en ces villages à l'environ ils firent moult de dommages; et descendirent autour de Tournehen,
Esprelecques et Bredenarde, là où ils firent escarmouches des capitaines des châteaux à l'environ. Et Cawart et autres
compagnons de Langle y furent blessés, qui par force en reboutèrent hors de leurs villages et d'autres de leurs châteaux.
Donc ils furent en icelles marches et autour d'Ardre plus reboutés; et y eut plus de gens blessés que par tout Flandre où
ils avoient été. Et se retrahirent vers Guines et Calais, pource que plusieurs de leurs gens prirent maladies par nécessité
de pain, dont ils n'avoient point à leur plaisir, dont aucunes bonnes femmes qui leur en donnoient sauvèrent leurs maisons,
et aussi gagnèrent en aucuns lieux de bon bétail en grand nombre, qu'ils amenoient de Flandre, dont les conduiseurs n'en
pouvoient point bien venir à chef de les conduire, pource qu'en aucuns lieux ne trouvoient point d'eau pour les abreuver,
dont elles s'espartoient; et ceux qui pensoient à leur retourner étoient surpris souventes fois de leurs adversaires,
quand ils s'éloignoient trop de l'avant-garde et de la bataille. El en ce temps, messire Thomas Kiriel et le seigneur de
Fauquemberg assemblèrent au Neuf-Châtel d'Incourt environ mille combattants, lesquels ils menèrent passer la rivière de
Somme à la Blanche-Tache, et allèrent loger à Forest-Moustier; et de là alla à Broye sur la rivière d'Authie, où ils furent
quatre jours; et prirent le châlet d'assaut, qui n'étoit point gramment fort ni de grand' valeur, et appartenoit au vidame
d'Amiens. Si y furent morts une partie des défendeurs et cinq ou six des assaillants. Pour la prise duquel le pays fut en
grand effroi, doutant que les Anglois ne se voulsissent là loger ; car, pour ce temps, y avoit bien petite provision quant
à la garde du pays ; mais les Anglois avoient trouvé en icelle ville et en plusieurs autres qu'ils avoient courues et
prises des biens très largement et grand' foison de prisonniers, atout lesquels ils s'en retournèrent au dit passage de la
Blanche-Tache, par où ils étoient venus, et de là en leurs garnisons, sans faire perte de leurs gens qui fasse à écrire;
et firent pour icelui voyage de grands dommages au pays de leurs ennemis et adversaires.
CHAPITRE CCVIII.
Comment les Flamands se remirent en armes depuis qu'ils furent retournés de Calais en leurs villes.
Après que les communes de Flandre furent rentrées dedans leurs villes, comme dit est dessus, leur vinrent dedans brefs
jours ensuivant nouvelles qu’une grande foison de navires d’Angleterre étoient arrivés devers septentrion sur la marche de
Flandre, entour Bielinghe, ayants intention d’entrer au pays. Et pour ce derechef les bonnes villes remandèrent toutes leur
gens du plat pays,et se
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remirent en armes à toute puissance; et allèrent hâtivement sans grand charroi devers Brevelier, et se logèrent sur la mer
à rencontre du dit navire d'Angleterre, qui étoit là environ. Et étoit ce navire là pour occuper et donner empêchement à
ceux du pays, afin qu'ils ne se retrahissent devers l'ost du duc de Glocestre, qui étoit en la marche de Poperinghe et
Bailleul. Lequel navire l'avoient là mené, et n'y étoient pour lors dedans que les mariniers et aucuns peu de gens pour le
garder; pour quoi ils n'avoient mie volonté de prendre port pour entrer au dit pays. Si se départirent en assez brefs
jours ensuivants, et retournèrent à Calais.
Après laquelle retraite et département, les dits Flamands se retrahirent chacune compagnie en leurs places ; mais les
Gantois, qui bien savoient qu'on leur bailloit là plus grand' charge du département de Calais qu'à tous les autres, dont
ils étoient très mal contents, ne vouloient mettre jus leurs armes. Si contendoient à faire de grands nouvelletés et
étoient en moult grand discord l'un contre l'autre : par quoi il convint que leur prince y allât. Lequel là venu, lui
firent bailler plusieurs articles de remontrances; desquelles en y avoit aucunes qui vouloient savoir pour quoi le siège
n'avoit été mis par mer devant Calais comme par terre, si comme il avoit été conclu ; et aussi pour quelle raison le navire
d'Angleterre n'avoit été ars, comme on avoit ordonné. A quoi on leur fit réponse, de par le duc de Bourgogne, qu'au siège
par mer, il leur étoit impossible, comme bien savoient les mariniers à ce connoissants, que navire y sût arrêter, par
fortune de mer, sans péril d'être bouté forciblement par devers la terre en divers lieux en la subjection de ses ennemis;
et avecque ce, les Hollandois, qui lui avoient promis une aide et accordée pour fournir le dit navire, lui avoient failli
de promesse. Et au regard du navire d'Angleterre qui n'avoit point été brûlé, les gens et vaisseaux qui avoient à ce été
ordonnés à l'Écluse pour ce faire n'avoient nullement eu vent propice pour y aller, mais leur avoit toujours été contraire.
Et quant à plusieurs autres points qu'ils requéroient, c'est à savoir d'avoir trois capitaines pour gouverner la ville de
Gand, pour faire procession par le pays à main armée, de garnir les forteresses des gens natifs du pays de Flandre,
d'apaiser le discord d'entre ceux de Bruges et de l'Ecluse et de plusieurs autres besognes requises par eux, leur fut par
icelui duc faite si bonne et raisonnable réponse qu'ils furent assez contents de lui; et se retrahirent ceux qui étoient
armés au marché des Vendredis en grand' multitude, en leurs maisons ; et laissèrent leurs armes, jà soit ce qu'ils eussent
été fort émus de première venue. Et avoient aux archers de leur prince fait mettre jus leur bâtons qu'ils portoient après
lui, disant qu'ils étoient forts assez pour le garder. En après, furent bannis de Gand messire Rolland de Huttekerque,
messire Colard de Commines, messire Gilles de La Voustine, Enguerrand Auwiel et Jean d'Audain, pource qu'ils ne s'étoient
remontrés comme bourgeois, ainsi comme les autres, quand il avoit été publié; et écrivirent les dits Gantois à ceux de leur
châlellenie que qui pourroit prendre l'un des dessus dits bannis el le mettre entre leurs mains, il aurait pour son salaire
trois cents livres tournois avecque raisonnable dépens; et depuis furent faites plusieurs ordonnances pour la garde et
défense du pays. Si furent commis plusieurs capitaines, desquels le seigneur d'Estenhuse fui établi capitaine ; le seigneur
de Commines, à Gand ; messire Girard de Tournay, à Audenarde ; messire Girard de Ghislelles, à Courtrai. Et pareillement
furent commis par toutes les autres villes aucuns nobles et gens de guerre selon l'état d'icelles, tant selon les frontières
vers Calais comme sur la mer et ailleurs. En outre fut publié que nul ne se partit du pays pour cause de la guerre et sur
grand' amende, et que chacun se pourvût et garnit d'armes selon son état et puissance ; et aussi que toutes bonnes villes
et forteresses fussent réparées et fournies de vivres et habillements de guerre ; et avecque ce, que toutes fosses et
barrières fussent visitées et réédifiées ès lieux et ès places accoutumés ; et tout aux dépens du pays et de ceux dessous
qui les réédifications se dévoient faire.
En après, pour mieux faire que laisser, convint que le dit duc des susdit dit de sa prodre bouche aux Gantois qu'il étoit
bien content d'eux pour la départie de devant Calais, et
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qu'ils s'en étoient retournés par sa licence et ordonnance ; car c'étoit tout leur désir et affection que d'en être
excusés, pource qu'ils savoient et connoissoient bien qu'ils s'en étoient partis trop honteusement. Et quand toutes ces
besognes dessus dites furent ainsi remises en régie, comme dit est, le dit duc s'en retourna à Lille ; et lors vinrent
devers lui le seigneur de Charny et aucuns autres vaillants hommes, qui amenèrent des parties de Bourgogne environ quatre
cents combattants, qui furent mis en garnison sur les frontières du Boulenois. Et puis après, bref ensuivant, vinrent et
arrivèrent les seigneurs d'Ansy et de Warenbon atout encore quatre cents combattants savoyens, lesquels dommagèrent moult
les pays d'Artois, Cambrésis et vers Tournai : et puis les mena le seigneur de Warenbon en garnison à Pontoise, là où ils
furent grande espace de temps. Si étoient lors, par toutes les parties du royaume de France, les églises et le pauvre
peuple oppressé et travaillé à l'occasion de la guerre, et n'avoient comme nuls défendeurs. Et nonobstant la paix d'Arras
faite, les François et Bourguignons, vers les pays et marches de Beauvoisis, Vermandois, Santois, Laonnois, Champagne et
Réthelois, faisoient moult souvent de grandes entreprises les uns sur les autres, et prenoient querelles non raisonnables
l'un contre l'autre. Pourquoi il advenoit moult de fois que les pays dessus dits, tant d'un côté comme d'autre, étoient
courus et pillés, et avoient autant ou plus à souffrir comme par avant la dessus dite paix d'Arras. Si n'y pouvoient les
pauvres laboureurs mettre autre provision, sinon de crier misérablement à Dieu leur créateur vengeance ; et, qui pis étoit,
quand ils obtenoient aucun sauf-conduit d'aucuns capitaines, peu en étoit entretenu, mêmement tout d'un parti. Et
entre-temps que ces besognes se faisoient, messire Jean de Homes, sénéchal de Brabant, qui avoit eu la charge avec le
commandeur de la Morée de conduire le navire par mer et aller devant Calais quand le duc de Bourgogne y étoit, fut
rencontré par aucuns Flamands sur les dunes de la mer, ainsi qu'il alloit à ses affaires, à petite compagnie ; lesquels le
mirent à mort, dont le dit duc de Bourgogne eut au cœur très grand déplaisir.
Et d'autre part, après que le dit duc eut rapaisé les Gantois, comme dit est ci-dessus, et qu'il eut entendu que toutes les
communes de sa comté fussent bien unies, si s'émurent les Brugelins en très grand nombre pour aller assiéger l'Ecluse ; et
se tinrent en armes sur le marché par moult long temps. Et entre-temps mirent a mort l'escoutette de la ville, qui étoit
avecque le commun, où ils furent bien six semaines; et étoient les capitaines Pierre de Bourgrave et Christophe Minère.
Et y eut un nommé George Vauldeberques qui fit lever la duchesse et son fils de son chariot pour quérir ceux de dedans;
laquelle duchesse pour lors y étoit; et l'arrêtèrent. El puis après, quand elle se départit, lui ôterent de son chariot la
femme de messire Jean de Homes, dont icelle duchesse fut moult troublée; mais elle n'en put avoir autre chose. Si étoient
avecque elle messir Guillaume et messire Simon de Lalain. Toutefois, par certains moyens qui depuis se firent entre leur
prince et eux, se retrahirent en leurs hôtels; et leur pardonna pour celle fois leurs offenses et maléfices, pource qu'il
avoit plusieurs grandes affaires vers eux.
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Stevenoot pierrele 20/09/2010.
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